30 septembre 2006
27 septembre 2006
Chloé Delaume - J'habite dans la télévision
Pour moi c'est une découverte.
Pas Chloé Delaume bien sûr, mais la forme de son dernier livre.
C'est même une découverte assez énervante car je m'étonne de ne pas avoir pensé plus tôt à le faire.
Déjà rôdée aux lacérations de formes, détournements d'axiomes et autres dérapages stylistiques, l'auteur de "Certainement pas" explore ici un nouveau genre que j'ai envie de qualifier de "documentaire expérimental". Et c'est d'autant plus énervant que ce procédé, je le connais bien puisqu'il existe en abondance dans la production underground audiovisuel. Mais jamais, bêtement, je ne m'étais dit qu'il pouvait s'adapter à l'écriture. Etonnant, puisque entre tous les moyens d'expression, la langue reste et demeure celui où la liberté est la plus totale.
C'est en ça que "J'habite dans la télévision" est proprement jouissif, dans cette idée que l'essai qu'on nous propose n'est déjà plus un essai (autrement dit un objet de tentative), mais qu'il lorgne déjà vers d'autres catégories plus affirmées, car plus personnelles. "J'habite dans la télévision" n'est donc pas un essai, mais un résultat, ferme. Strié de données techniques et scientifiques, il met néanmoins tout en oeuvre pour fuir sans cesse la rigueur de la démonstration, et embrasse sans scrupule celle de la sensibilité.
J'imagine que c'est pour ça que quelques critiques se sont emballés sur les soit-disant développements "pauvres" de la théorie. Parce que ce livre n'est pas une théorie, et effectivement, Chloé Delaume n'écrit pas pour étaler le A et le B de faits tangibles servant à argumenter la puissance d'un C conclusif. De mon point de vue, prendre ce livre comme un exercice scientifique, avec un raisonnement rationnel développé comme à l'école et belle conclusion cadenacée à triple tour, c'est se gourrer complètement de sujet. De la même manière, s'imaginer que "J'habite dans la télévision" parle de la télévision, dans un raccourci de journaliste qui préfère ranger la somme de produits littéraires de la rentrée dans des cases bien définies par peur de se planter (ex: "il y a X livres qui parlent de télévision", "X premiers romans", etc.), c'est aussi faire fausse route. Car on n'est pas là pour réinventer Bourdieu. Dans le cas de Chloé Delaume, et plus précisement dans ce dernier livre, on est dans l'invention de formes, ou comment faire entrer en collision les données avec le roman. C'est ce processus qui est à l'oeuvre. Comment nourrir après avoir été nourri (souvent même malgré nous) ? Que faire de tout cet attirail de données éparses, jamais synthétisées, ou trop synthétiques, pour rester vivant et ne pas se vautrer ad vitam eternam dans la passivité à laquelle tout nous invite, des slogans publicitaires aux connexions neuronales ?
Donc oui, des mécanismes de contrôle médiatique sont mis en évidence dans ce livre, mais jamais en tant que tels, afin de ne pas justement tomber dans la petite dissertation de DEUG de socio. Tous ces mécanismes ne sont pas expliqués : ils font partie du processus d'écriture. Et traversant le filtre de la littérature, on saisit (ou non) comment l'information chemine jusqu'à nous, puis en nous, et comment elle peut en sortir. Ce livre est un exemple de sublimation, un exemple de recyclage de données en vue de la création, et plus que tout, un encouragement à en découvrir d'autres.
Alors bien sûr, je n'ai pas non plus été convaincu par la fin du bouquin, assez anecdotique il me semble, mais on parle là de deux malheureuses pages qui expriment simplement l'impasse de la démonstration, au cas où on aurait pas compris. Tout le livre s'articule de toute manière autour de cette impasse, tout en pointant en filigrane les minuscules portes dérobées qu'il est encore possible de prendre. "J'habite dans la télévision" est simplement l'une de ces portes, qui invente du poétique à partir d'un sujet qui le broie. Ici la littérature, mais ailleurs le dialogue, ou le détournement, ou la performance, tous ces autres possibles comme autant de machines à refuser les règles sophistiques qui font autorité aujourd'hui.
En face de ces canevas universitaires arrogants et dangereux, la langue.
Dressée comme un mur face à l'arithmétique stérilisante des suppots de la Vérité, une auteur.
Et franchement, aujourd'hui, je n'en vois pas beaucoup d'autres.
Libellés : galaxie
26 septembre 2006
Comment éviter d'être frappé par la foudre ?
Vous savez, je souffre de quelques phobies assez tenaces.
Bien entendu, en haut de la liste, il y a l'eau. C'est pas pour rien si une bonne quantité de mes textes se terminent en inondation/tempête/noyade et autre catastrophe du même genre. Par extension, le bateau n'est pas non plus mon moyen de transport favori. Vous ne me verrez jamais faire le mariole sur la proue en gueulant que je suis le King of the World. Aucun risque. Et dans le genre "noyade", la pire d'entre elle reste sans aucun doute l'engloutissement par des sables mouvants, et alors là, je vous explique même pas. C'est pas seulement une peur pour moi, mais carrément un cauchemar récurrent et le moindre morceau de sable qui s'enfonce sous mes pieds sur une plage me serre l'estomac et me rappelle ces moments oniriques où je finissais bouffé dans le noir et l'humidité par l'un des pièges à pêcheur de moules.
Mais il n'y a pas que ça. Prenez l'avion par exemple. J'ai déjà parcouru le globe à de nombreuses reprises sur quelques continents, mais je n'arrive toujours pas à m'y faire. C'est plus fort que moi, dès que cette saloperie de carlingue s'élève dans le ciel, je vois ma dernière heure arriver, et ce sentiment ne s'arrête même pas lorsque l'avion se pose, puisque fatalement, lorsqu'on prend un avion, cela implique de le prendre à nouveau pour retourner d'où l'on vient. Donc généralement, tout mon séjour se déroule dans la peur du moment où il me faudra retourner à 10,000m d'altitude (pourquoi si haut ? j'ai jamais compris). Certes, le goût persistant de fin du monde que cette peur apporte à mes vacances peut être stimulant, mais j'avoue que si je pouvais m'en passer, tout irait probablement beaucoup mieux.
Bref, je vais arrêter là la liste des choses qui me terrorisent, puisque l'objet de ce post est de conseiller à ceux qui sont dans le même cas que moi un excellent bouquin que je viens de me procurer.
"The Worst Case Scenario Survival Handbook" recense en effet toutes les situations les plus catastrophiques dans lesquelles le destin aura eu le sadisme de vous précipiter.
Découpé en chapitres très explicites, ce bouquin vous donnera tous les tuyaux nécessaires pour sauver votre peau dans les moments les plus critiques.
Comment vous échapper d'une voiture qui coule ? Comment marcher sur le toit d'un train en marche ? Comment sauter d'une moto à une voiture ? Comment gérer une fracture de la jambe ? Comment faire atterrir un avion ? Que faire si votre parachute ne s'ouvre pas ? Comment combattre un aligator, un serpent ou un requin ? Comment gagner un combat à l'épée ? Et bien sûr le primordial "Comment vous sortir de sables mouvants" ?
Je n'ai donné ci-dessus que quelques exemples. Il y en a plein d'autres. Toutes ces situations de merde dans lesquelles personne jamais n'aurait envie de se retrouver, mais qui peuvent malheureusement et statistiquement nous tomber dessus malgré tout.
Alors c'est sûr, après ce que j'ai dit ces derniers jours sur les héros, on peut penser que ce post est une émanation subtile et décalée de mes théories récentes selon lesquelles au fond de nous repose le désir grincant d'être spécial et d'avoir la force d'accomplir ce que personne ne pourrait accomplir, mais en fait, non.
Ca me fout vraiment les boules ces conneries de sables mouvants. Et savoir comment faire pour s'en sortir, croyez-moi, me permettra de mieux dormir... quelques jours.
Libellés : vent
23 septembre 2006
Grégoire Courtois - Textes - 1998-2006
Ca fait bizarre, c'est vrai, de publier des oeuvres complètes aujourd'hui. On peut pas dire que je sois mort, ni prêt pour la Pléiade d'ailleurs, mais il me paraissait important de faire le point et de réunir tous les textes que j'ai produit depuis 8 ans dans un recueil à peu près lisible.
La plupart des gens qui lisent ce blog ne découvriront rien dans ces 5 volumes au format .pdf, mais ce sera peut-être l'occasion pour les autres d'avoir un accès facile à ma production, proprement mise en page et entièrement téléchargeable au même endroit, ce qui était loin d'être le cas jusqu'à aujourd'hui.
A tous ceux que ça intéressera, je souhaite donc une bonne lecture.
http://perso.orange.fr/troudair/txt.html
Libellés : egosystème
22 septembre 2006
16 septembre 2006
We can be heroes
J'évoquais, il y a quelques jours, à propos de la série Heroes, le "questionnement égocentrique de l'homme moderne", sa soif de voir autour de lui des héros et son infini désir de s'aperçevoir qu'il en est un.
C'est ce même processus qui guide la totalité du film "United 93" (Vol 93 en français), réalisé par Paul Greengrass.
Et si les mots de Bertold Brecht "Malheureux le pays qui a besoin de héros" s'avèrent justes, alors on ne peut que déplorer à la vision de ce film à quel point le malheur le plus total s'est abattu sur nos nations occidentales.
Ce qui est présenté comme un film "de reconstitution" des 90 dernières minutes du vol United Airlines 93 le 11 septembre 2001 me pose en effet plusieurs problèmes. Car si dans sa précédente tentative de docu-fiction, "Bloody Sunday", Greengrass réussissait à transcender totalement son sujet par une retranscription fidèle des événements du dimanche 30 janvier 1972 à Derry, cette approche du sujet se trouve à l'inverse parfaitement disqualifiée dans "United 93" du fait du manque flagrant et avoué de traces tangibles de vérité.
"Dead men don't talk" disaient les brigands du Far West, laissant un seul survivant dans leurs tueries afin que celui-ci puisse raconter l'horreur qu'il venait de vivre et répandre dans le pays la légende. Dans le vol 93, il n'y eu aucun survivant, et les seuls documents concrets sur lesquels Greengrass et ses collaborateurs ont pu s'appuyer ne furent que les conversations enregistrées par les aiguilleurs du ciel, les appels passés par les passagers à leurs proches à partir des lignes internes de l'avion et les enregistrements des conversations à l'intérieur du cockpit stockées dans la boite noire.
C'est peu. Beaucoup trop peu pour décider de traiter cet événement de la même manière que la manifestation pacifique du 30 janvier 1972 pour laquelle, au contraire, de nombreux témoignages directs ont permis de rétablir une vérité d'une grande fidélité, presque minute par minute. Et soudain, ce procédé qui dans un film apparaissait comme la tentative de faire éclater une vérité connue mais non-médiatisée, se transforme en instrument de mensonge, ou du moins de malhonnêteté.
Absolument rien ne nous dit qu'il n'y eu qu'une seule victime parmi les passagers avant que l'avion ne se crashe.
Absolument rien ne nous dit que les terroristes ont tous résisté jusqu'au bout, et que, par exemple, l'un d'eux ne s'est pas retourné contre ses compagnons.
Absolument rien ne nous dit que les passagers ont découvert qu'un pilote de tourisme était parmi eux, motivant l'espoir de reprendre le contrôle de l'avion.
Personne enfin, et c'est là où je voulais en venir, ne peut prouver qu'un véritable élan d'héroïsme a soudainement frappé tous les passagers qui se sont rués à l'assaut du cockpit comme un seul homme.
Tout ceci, 90% de ce qui est montré comme étant "la vérité", n'est que spéculation prenant pour base les professions et personnalités des passagers et la preuve que ce vol s'est effectivement crashé à la suite d'une lutte dans le cockpit.
Aucun avertissement au début du film ne nous renseigne de cet état de fait et le mode documentaire vient au contraire assoir l'impression de vérité, ou plutôt devrais-je dire, vient assoir le mensonge.
Le faux documentaire est un genre à part entière, que j'adore soit dit en passant, et ma collection de films de Peter Watkins peut en attester.
Mais Paul Greengrass n'est pas Peter Watkins et à aucun moment, le film ne permet au spectateur d'avoir le recul nécessaire à la compréhension du procédé.
"United 93" n'interroge pas sa méthode. C'est au contraire une machine extrêmement bien huilée, conçue dans le seul but de "rendre hommage" à ces passagers "courageux" et "héroïques", mais qui met malheureusement en branle exactement le même attirail médiatique que toute la couverture journalistique du 11-septembre.
Watkins, lorsqu'il conçoit l'un de ses films, n'a qu'une idée en tête, avant même le traitement de son sujet, c'est le traitement du média lui-même, et les moyens de faire comprendre à son public que la méfiance est de rigueur dès lors qu'on présente un événement comme "vrai". Greengrass évacue volontairement ce recul nécessaire, sans même, par exemple, montrer à la fin de son film les visages des véritables passagers du vol 93.
Même Spielberg, dans sa pourtant contestée "Liste de Schindler", avait eu le respect de s'acquiter de cette tâche. Dans cette scène finale du film aux 5 Oscars, le retour à la "réalité" permettait une compréhension du film comme oeuvre de fiction, et non comme exacte retranscription. J'ai même envie de dire que Spielberg n'était pas obligé de passer par là, étant donné que son film, plastiquement, de part l'utilisation du noir et blanc, la construction des plans, et la mise en scène elle-même, ne laissait aucun doute sur la nature fictionnelle de l'oeuvre.
Alors évidemment, on ne doute pas, dans "United 93", d'avoir devant les yeux des comédiens, mais en revanche, l'esthétique documentaire est là pour nous faire gober qu'il s'agit de réalité fidèlement retranscrite.
De mon point de vue, en 2006, à l'heure où les médias audiovisuels ont acquis cette telle puissance de persuasion, se servir de ces même procédés dans un but de célébration d'un événement "probable", n'est pas seulement une escroquerie... c'est purement et simplement de la propagande.
Libellés : kapital
14 septembre 2006
Lysistrata en Colombie
Des femmes de délinquants colombiens font "la grève des cuisses serrées"
BOGOTA (AFP - mardi 12 septembre 2006) - Les petites amies et épouses de centaines de jeunes délinquants et tueurs à gage colombiens ont décidé, à l'initiative de la mairie de Pereira (ouest), d'entamer "une grève des cuisses serrées" afin, par le biais de l'abstinence, de contraindre leurs partenaires à moins de violence.
"C'est notre manière d'expliquer à nos époux que nous ne voulons pas être des veuves et que nos enfants méritent d'être éduqués par un père", a déclaré Ruth Macias, une mère de deux enfants, âgée de 18 ans. "Je suis sûre qu'avec de tels arguments ils nous entendront".
La jeune femme a participé lundi à une réunion de la municipalité de Pereira au cours de laquelle une centaine d'épouses et d'amies de délinquants se sont engagées à faire la grève du sexe si ces derniers ne renoncent pas à la violence.
A l'origine de cette initiative, Julio César Gómez, responsable de la sécurité à la mairie de Pereira, a expliqué qu'"un travail a été fait sur les jeunes femmes pour qu'elles cessent de percevoir comme très sexy leurs compagnons lorsqu'ils sont armés et vêtus de treillis militaires". Le mot d"ordre du fonctionnaire municipal est simple : "Refusez de faire l'amour avec votre partenaire pendant une semaine sauf s'il accepte de ne plus porter d'armes ou de ne plus être violent".
Pereira est aujourd'hui la ville la plus sanglante de Colombie : 90% des décès sont dus à des armes à feu, selon les statistiques officielles. Et 84% des 'morts sont des victimes de gangs, âgés de 14 à 25 ans.
(Source)
Cette info pourrait passer comme un simple communiqué insolite, à moins qu'on connaisse l'histoire de Lysistrata, écrite par Aristophane en... 411 avant JC.
Alors maintenant plusieurs questions se posent :
- Est-ce que les femmes colombiennes sont amatrices de théâtre antique ?
- Est-ce qu'un lien magique les uni par delà les siècles ?
et sutout
- Quand Laura Bush va-t-elle se décider à serrer les cuisses une bonne fois pour toute ?
Libellés : vent
12 septembre 2006
Théâtre en octobre
On m'a suffisament reproché de ne pas annoncer les représentations de mes pièces assez tôt. Voici donc, pour les amateurs, les deux dernières dates de "Peu de risques d'inondation ce printemps au Manitoba". Enfin, deux dernières, pas tout à fait. Disons plutôt les deux dernières où je serai moi-même interprète. Après ça, l'aventure continuera peut-être, mais sans moi, mon emploi du temps ne me permettant plus de suivre le rythme.
Donc :
Samedi 21 octobre à 20h30
Théâtre de Villeneuve sur Yonne
Vendredi 27 octobre à 20h30
Bibliothèque de Charbuy (mise en scène simplifiée)
Libellés : chair
11 septembre 2006
Jean-Pierre Dupuy
En ces temps de commémoration à tout va, d'uniformes de pompiers et autres fiertés mal-placées, un ouvrage me vient à l'esprit.
Bon, c'est normal, il est tout frais. Je l'ai lu cet été, mais il date d'octobre 2002.
Avant d'en parler pourtant, je vais revenir à la genèse de sa découverte.
Je me souviens que c'est en surfant tout bêtement à la recherche d'informations sur les nanotechnologies il y a quelques années que je suis tombé pour la première fois sur le nom de Jean-Pierre Dupuy. Il avait écrit un article particulièrement puissant, sobrement intitulé "Impact du développement futur des nano-technologies sur l'économie, la société, la culture, et les conditions de la paix mondiale". En quelques points très simple, cet article n'expliquait pas seulement dans quelle mesure les nanotechnologies pouvaient être incontrôlables, mais surtout à quel point l'humanité n'était absolument pas (et n'est toujours pas) prête, au niveau politique, philosophique et social, à les accueillir. L'énonciation du 7ième risque des nanotechnologies, le "méta-risque", résumait à lui-seul la portée de cet article, qu'on pouvait subitement appliquer à bien d'autres domaines que cette science du futur (proche).
Quand on découvre un auteur, philosophe qui plus est, catastrophiste par dessus le marché, et enfin compréhensible pour un néophyte comme moi, vous imaginez bien qu'on cherche à en savoir plus. Je me suis donc rapidement procuré "Pour un catastrophisme éclairé : quand l'impossible est certain" et là encore, belle claque. [Je conseille au passage cette note de lecture appliquée de Henri Prévot] Dans la lignée directe de ce que j'avais cru comprendre de ce fameux "méta-risque", autrement dit la certitude, étant donnée la profusion des risques potentiels, que l'un d'eux se produise effectivement, cet essai était une sorte de guide à l'usage des sociétés post-11 septembre, ou du moins qu'on définit comme tel aujourd'hui, mais qui pouvait tout aussi bien être applicable avant 2001.
Après cette lecture, il devenait évident pour moi que l'ombre du 11 septembre planait sur les textes de Jean-Pierre Dupuy, et je le soupçonnais d'avoir été profondément affecté par cet événément planétaire.
Ce livre dont je voulais parler était en fait la clé qui me manquait et que je n'ai découvert que cet été, à la Fnac d'Avignon (comme quoi, ce festival n'aura donc pas totalement servi à rien).
"Avions-nous oublié le mal ? (Penser la politique après le 11 septembre)" est en effet le texte qui attaque de front la question de ce jour historique, en même temps qu'une charge contre la pensée, disons aristotélicienne, qui a largement dominé les débats par la suite, comme on peut encore le voir aujourd'hui-même au travers des angles choisis par les journaux et les documentaires pour aborder le sujet.
Pour résumer : une cause entraîne un effet, et s'il y a 3000 morts lors d'une attaque terroriste, c'est forcément qu'il y a une raison simple.
Jean-Pierre Dupuy sera peut-être plus clair que moi :
"S'il y a de l'horreur ou de la démence dans un acte, toute la détestation qu'il inspire se portera sur les croyances et les désirs qu'on lui impute comme causes, mais l'acte lui-même se trouvera justifié par ces mêmes causes devenues raisons."
Voilà en gros comment débute cette "anatomie du 11 septembre", remettant sérieusement les pendules à l'heure tout en balayant l'idée de "choc des civilisations" régulièrement avancée dans les analyses les plus respectées.
Ca n'est pas parce que le modèle occidental est différent du modèle arabe qu'il est haï, mais justement parce qu'il est identique.
"Lorsque la fièvre concurentielle s'étend à la planète toute entière et que certains, à ce jeu, perdent systématiquement, il est inévitable que ce mal qu'est le ressentiment (...) produise des ravages."
Posée sur ces mises au point, la pensée de Dupuy peut alors s'envoler et nous emmener bien plus loin que prévu, en particulier quand elle entre en collision avec une autre catastrophe démocratique, le 21 avril 2002 en France.
C'est l'objet et le prétexte de la dernière partie du livre qui pose ni plus ni moins la question (comme lorsque Dupuy parlait de nanotechnologies) : est-ce que nos sociétés modernes sont en mesure de se diriger elles-même ?
Pour y répondre, il faudra passer par plusieurs étapes dont la disqualification de la philosophie française, incapable de saisir à quel point la pensée économique est la nouvelle maitresse des théories d'organisation sociale -
"(...) les philosophes en France sont dans leur grande majorité incultes en matière de théorie économique." (p75)
- mais aussi, encore plus cinglant, le déni total des théories de John Rawls par celui qui fut pourtant le premier à publier en France la traduction de la "Théorie de la Justice", à l'enseigner et la défendre.
Ce revirement anti-économique post-11 septembre est tellement croustillant que je ne résiste pas à l'envie de vous en retranscrire un extrait :
"Je crains que dans l'après-11 septembre, mon jugement n'ait changé du tout au tout. Je regrette aujourd'hui d'avoir tant fait pour la diffusion de cette oeuvre. Elle concerne un monde possible qui serait peuplé de zombies raisonnables complètement étrangers au tragique de la condition humaine, mais ce monde n'est pas le nôtre, hélas peut-être. L'irénisme naïf, pompeux, académique et quelques fois ridicule des développements de Théorie de la Justice m'apparaît aujourd'hui une faute contre l'esprit. Ne pas voir le mal pour ce qu'il est, c'est s'en rendre complice." (p79)
Ouf ! J'ai comme l'impression que j'ai découvert Jean-Pierre Dupuy au bon moment de son oeuvre.
Je ne vais pas dévoiler les théories finales de l'auteur afin de réserver quelques surprises à ceux qui pourraient maintenant avoir envie de le lire (bizarre de parler d'un bouquin de philosophie comme d'un polar, non ?), mais sachez en tout cas que s'il vous prenait l'envie, pour je ne sais quelle raison (la propagande de TF1, la démagogie de Sarkozy, etc.) de commémorer le 11 septembre 2001, le mieux serait encore de le faire en lisant cet auteur primordial.
Libellés : galaxie
09 septembre 2006
G*Mp/R²
J'ai de plus en plus la sensation de vivre à la surface du soleil.
Mais ça n'est pas une question de chaleur.
Il ne fait pas 5492 degrés Celsius dans les 49m² que j'habite.
C'est une question de pesanteur.
Mon dos se plie.
Ca ne date pas d'aujourd'hui, ni d'hier, mais de très longtemps.
Aussi loin que je puisse me rappeler, mon père me tenait les épaules et m'appuyait sur la colonne vertébrale pour me redresser.
Dans les pièces de théâtre que j'ai jouées cette année, le metteur en scène me faisait la même remarque. Je suis plié, éreinté, comme si je portais une lourde charge sur mes épaules.
Mais c'est faux.
Je ne porte aucune charge sur mes épaules. Rien qui puisse m'empêcher de m'envoler.
Alors pourquoi je ne vole pas ?
En bon scientifique, j'en ai donc déduit qu'il s'agissait de la pesanteur.
Newton est mon psy. Sa pomme est tombée sur l'arête de mon nez. Et elle reste là. Et je ne vois qu'elle.
Et je suppose que je vis sur le soleil, immeubles comme des geysers de flammes, hommes comme des volûtes d'hydrogène en fusion, oppressé par 27,9 fois la pesanteur de la Terre. C'est lourd 28 atmosphères. Faites-moi confiance.
Mais aussi longtemps que je croirais à cette explication, tout ira bien.
Parfois, je me redresse, et je me dis "tu vis sur la Terre, pas sur le soleil, debout".
Ca dure le temps de ma concentration, quelques secondes, puis la courbe reprend son angle, comme si rien en moi ne voulait y croire, et toujours vivre dans l'illusion d'une pesanteur x28.
Ce serait extraordinaire.
Ca ferait de moi quelqu'un d'exceptionnel si vraiment c'était le cas.
Mais peut-être aussi que le fait, justement, de n'être ni extraordinaire, ni exceptionnel, c'est ça qui me fait courber le dos.
Et c'est pour ça que je préfère autant l'explication de Newton, et de sa pomme, posée devant mes yeux, pour m'éviter de voir quoi que ce soit autour.
Libellés : vent
Séries US de l'automne
Je vous avais parlé cette semaine de Jericho, la nouvelle série de CBS, mais rapidement, un petit point sur les autres nouveautés de la rentrée à la télé US.
Pour être honnête, je n'ai pas été particulièrement emballé par la plupart d'entre elles, même si sur le papier, certaines promettaient vraiment. Néanmoins, nous n'en sommes qu'au début, et on peut toujours espérer que les choses s'arrangent au fur et à mesure des épisodes.
Heroes
On commence par la série qui semble avoir le plus budget de cette rentrée (j'ai pas les chiffres, mais j'imagine) mais qui malgré un pilote très bien foutu ne réussit pas pour le moment à me convaincre totalement.
Il faut dire que l'histoire sent le plagia à trois kilomètres et qu'il est bien difficile de ne pas faire la comparaison avec les X-men, ou plus récement, avec les 4400.
Jugez par vous-mêmes :
Aux quatre coins du monde, des gens tout à fait ordinaires découvrent presque simultanément qu'ils possèdent une capacité extraordinaire. Ca peut être le vol (dans les airs, pas à l'étalage), la régénération des tissus après une blessure, l'ubiquité, etc.
On arrive rapidement, grâce au sempiternel savant incompris et pourchassé par la méchante firme secrete, à l'explication qu'il s'agit là de mutations menant bien sûr au prochain stade de l'évolution humaine...
Bouef... Si ça c'est pas du foutage de gueule, je sais pas ce que c'est.
Il n'empêche que la réalisation du pilote est soignée, la bande-son pas dégueu (pour une fois) et que malgré tout, on est bien curieux de savoir comment les scénaristes vont réussir à ce tirer de ce guépier. Le pauvre créateur de la série, Tim Kring, avoue qu'il n'a jamais lu aucun X-men, et on le plaint, car si c'est vrai, comment fera-t-il pour nous proposer des enjeux dont toutes les coutures n'ont pas déjà été abordées par la géniale BD de Marvel ?
En plus de ça, le pilote insiste lourdement sur le fameux questionnement égocentrique de l'homme moderne que je pourrais résumer ainsi : dans un monde toujours plus multiple, toujours plus riche, mais dans lequel on nous rabache incessamment que nous sommes "spéciaux", qui n'a pas envie d'être vraiment extra-ordinaire, de sortir du lot, et gna gna gna ?
Franchement, ces considérations individualistes me gonflent et j'espère qu'il ne s'agit pas de l'axe central de la série, ou alors je risque de m'en désintéresser très rapidement. Bref, on verra bien comment ça se développe, mais pour l'instant, je ne peux que mettre ma belle mention "Doit faire ses preuves".
[Allez, va, un bon point quand même : cette série est l'occasion de retrouver avec plaisir le génialissime Adrian Pasdar, autrement dit Jim Profit, le héros de la série télé la plus glauque de tous les temps.]
Vanished
Sur le papier, je croyais que cette série allait être un remake maquillé de "Without a Trace" (FBI, Portés Disparus, pour les francophones). En fait, j'avais juste mal lu, car s'il y a bien un enlèvement (la femme d'un sénateur), toute la série tourne autour de cette seule affaire. Entre secrets de famille et mystères d'Etat, chaque épisode nous en apprend un peu plus sur les possibles raisons de cet enlèvement, tellement tout le monde semble avoir quelque chose à cacher dans l'histoire.
Je ne dirai pas que c'est la meilleure série de la rentrée, mais en tout cas, ça se laisse bien regarder et on s'intéresse rapidement aux liens qui unissent tous les protagonistes. Plus de mystères que de réponses dans les premiers épisodes que j'ai pu voir, mais assez de rebondissements pour me tenir éveillé.
En résumé, allez-y les yeux fermés. Vous ne deviendrez pas addict, mais ce sera un bon divertissement.
Justice
Et on finit avec la série la plus "conventionnelle" du paquet, une bonne vieille série d'avocats où chaque épisode est une affaire et qui peut donc se voir sans forcément respecter la continuité (comme ce devrait être le cas de n'importe quelle série, si on s'en tient à la définition exacte).
En plus de ses nombreuses qualités de mise en scène, un rythme effreiné et quelques idées vraiment bien trouvées, Justice nous permet de retrouver Victor Gaber, le papa de Sydney Bristow dans feu-Alias, dans un contre-emploi vraiment sympa. Violent, arrogant, malemenant ses clients pour leur bien, Gaber est tout à fait convaincant en avocat top-niveau manipulateur de médias.
Chaque épisode débute avec les secondes suivant le drame et se termine, idée géniale, par la révélation de ce qui s'est réellement passé. Autrement dit, on suit pendant 40 minutes la défense d'un client, de l'inculpation au verdict, et une fois qu'il a été acquité ou condamné, le spectateur découvre la vérité.
La description de l'élaboration du dossier de la défense est, à ma connaissance, la plus précise qu'on ait pu voir jusqu'à présent à la télé, décrivant brainstorming pour trouver la version qui marchera le mieux, choix des jurés, contre-expertises scientifiques et autre tests face à des jury fictifs, si bien que 40 minutes s'avèrent parfois un peu courtes pour suivre le raisonnement de ce cabinet d'avocats plein de fric.
L'aspect vraiment intéressant de cette série est donc de nous impliquer totalement dans la défense d'un gars dont on ignore (comme ses avocats) s'il est coupable ou non, et avec la certitude qu'on l'apprendra à la fin, quel que soit le verdict.
Mettre à mal notre impartialité et nous mettre en face de notre rapport aux médias et à la présentation d'un dossier, c'est ça la vraie bonne idée de cette série. Car malgré notre intime conviction, forgée au fur et à mesure des minutes, on ne peut que être du côté des héros, c'est à dire des avocats, et on ne peut que être heureux de l'acquitement, et triste de la condamnation. Les dernières secondes de la série sont là pour nous montrer à quel point on a pu être influencable.
Libellés : kapital
07 septembre 2006
06 septembre 2006
Juste en passant
Le dernier Muse est démoniaque.
La bande-originale parfaite de nos vies gonflées d'aventures épiques.
Bon, bien sûr, faut pas avoir peur des paillettes.
Glaciers melting in the dead of night
And the superstars sucked into the 'supermassive'
Supermassive black hole
Supermassive black hole
Supermassive black hole
Libellés : kapital
05 septembre 2006
Un point sur la fin du monde
Le monde court à sa perte, nos jours sont comptés, inutile de trop réfléchir à des solutions qui pourraient aider nos enfants puisque de toute manière, tout est déjà foutu d'avance, etc., etc.
Bon, tout ça, on le sait.
Néanmoins, ce que nous ignorons, plongés que nous sommes au coeur du catastrophisme le plus désespéré depuis les grandes pandémies de grippe espagnole, c'est comment cette fameuse fin du monde annoncée va se produire.
Les plus fidèles d'entre vous savent que j'ai déjà commencé à recenser bon nombre de films apocalyptiques et que je suis un lecteur assidu d'Exit Mundi, le site ultime des fins du monde les plus (im)probables (le site est coupé aujourd'hui... étrange...). Tout ceci afin de comprendre, au travers de la fiction et de l'imaginaire collectif, ce qui fait encore peur à l'homme moderne, ce qui réellement éveille en lui la détresse et le nihilisme le plus total.
Voici donc deux nouvelles pierres à cet édifice de terreur sourde proposées par les cerveaux malades de nos amis américains.
The Plague
Belle découverte que ce petit film d'horreur co-produit par Clive Barker.
Un beau matin comme les autres, tous les parents du monde découvrent que leurs enfants sont plongés dans une sorte de catatonie persistante, yeux révulsés et bave aux lèvres. Tout bambin de moins de 9 ans est touché par ce mystérieux mal.
A ce moment-là, on s'attend à une explication extra-terrestre quelconque et à un nouveau remake du "Village des Damnés", mais pas du tout.
Là où le traitement de cette histoire devient proprement génial, c'est que rien n'est expliqué, et qu'on retrouve tout simplement ce même-monde... 10 ans plus tard. Les gosses sont toujours dans le cirage, les enfants naissent comateux et la dernière génération éveillée quitte le lycée qui ne sert désormais plus à rien. La description, pendant la première demi-heure, de ce monde sans enfant, peuplés de parents livides complètement paumés et parfaitement conscients qu'ils sont les derniers humains sur Terre est excellente et rattrappe à elle-seule la suite du film, qui passe vite en mode "survival" et peine à éviter quelques poncifs du genre.
Que laissons-nous à nos enfants ? Et si jamais ils se mettaient à nous défoncer la gueule à coup de pioche, n'auraient-ils pas au fond un peu raison ?
Je n'en dit pas plus pour ne pas vous gâcher la surprise, mais sachez simplement que les thèmes abordés par ce scénario en apparence anodins sont vraiment pertinents, à défaut d'être toujours bien traités.
Et puis franchement, découvrir James Van Der Beek, l'ancien héros de la série Dawson, mal rasé, la trentaine passée, sortant de tôle, quoi de plus symbolique pour un film sur la honte et la décrépitude de l'âge adulte...?
[Pas de sortie prévue en France, mais le DVD sera probablement dispo et surtout, les versions qui circulent sous le manteau possèdent des sous-titres FR impeccables.]
Jericho
Nouvelle série diffusée sur CBS à partir de la rentrée, je ne peux pas encore en dire grand chose pour le moment car seul le pilote est pour l'instant visible.
Néanmoins, on voit déjà un potentiel intéressant dans cette histoire nombriliste à souhait comme seuls les américains savent en inventer. Imaginez, un village paumé au milieu du Kansas, avec ses rednecks pouilleux, son institutrice gentille et son maire paternaliste. Tout pourrait bien se passer dans les jolies petites maisons dans la prairie sauf que tout à coup, les télés et les radios s'arrêtent, le téléphone est coupé, et tout le monde peut aperçevoir, au loin, la silhouette imposante d'un champignon atomique.
Par une très chouette subtilité de scénario, on apprend rapidement que l'événement n'est pas isolé mais qu'au moins deux villes américaines se sont prises une petite bombe H sur le coin du crâne.
Alors est-ce que ce sont les seules ? Qui attaque au juste ? Les Arabes ? Les Russes ? Les extra-terrestres (ce qui au fond, revient au même) ? Est-ce que Jericho (Kansas), est désormais la dernière ville du monde, après que Jericho (Cisjordanie) ait été la première ? Autant de questions auxquelles la série se devra de répondre, en plus de faire face à l'inévitable chaos et au retour à la sauvagerie que les habitants ne manqueront pas de découvrir. D'ailleurs, l'un des personnages, fraîchement immigré de Saint Louis après la dévastation de l'ouragan Katrina, est là pour bien nous faire comprendre que tout ça risque de partir en quenouille sous peu. Si vraiment c'est le cas, on tiendra là une excellente série politique à l'échelle microscopique, mais j'ai quand même le désagréable pressentiment que l'histoire risque de sombrer assez vite dans un traitement de surface pas du tout à la hauteur de son ambition. La réalisation écoeurante du pilote n'est d'ailleurs pas de très bonne augure pour la suite (comment on fait pour virer la musique d'une série ? Yark !).
Bref, série à suivre au début, mais sans garantie.
Anecdote amusante, M6 n'a visiblement pas les mêmes réserves que moi puisque, fait rarissime dans l'histoire de la TV, la chaîne a acheté les droits de diffusion française avant même la diffusion du pilote aux USA...
[Sur CBS les mercredi ou jeudi à partir du 20 septembre, et bientôt sur M6 donc.]
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