Ce titre, il veut dire trois choses.
Peut-être plus, mais au moins trois choses.
La première, c'est que c'est une ligne de mon texte de "
Un obus dans le coeur", juste avant la catastrophe centrale de cette pièce, un autobus en flammes pendant la guerre du Liban. "Le garçon me jette par dessus la cohue :
kif el yôm byod'har baad yad'har men el layl."
Comment le jour peut encore sortir de la nuit ?
La seconde, c'est un souvenir. C'était il y a presque 10 ans et on était allé au concert des Red Hot Chili Peppers à Bercy avec des amis. Dans la fosse, dans les hurlements des fans et des guitares, on gueulait comme des sauvages et on se percutait comme des tarés, contre les inconnus et contre nous-mêmes. J'ai demandé à l'un de mes amis de me faire la courte échelle pour me balancer sur la foule. J'avais vraiment envie de partir en slam, me faire porter par des centaines de mains étrangères jusqu'au cordon de sécurité.
Il s'est exécuté. J'ai mis mon pied droit dans ses mains jointes et il m'a propulsé dans les airs. Sauf qu'on avait mal évalué la distance qui nous séparait de la scène, et au lieu d'atterrir sur le public, je suis passé par dessus le cordon de sécurité et je me suis fracassé sur le sol, au pied de la scène.
Déjà, ça faisait mal, de tomber comme ça sur le béton, de si haut. Et aussi, les gars de la sécurité ont dû flipper, croire que j'étais un barjot bourré qui voulait monter sur scène, alors ils m'ont cueuilli au sol, pendant que je me tordais de douleur, et sans ménagement, ils m'ont relevé et balancé sur le côté à coups de latte.
Je me suis retrouvé en quelques secondes à l'entrée des chiottes de Bercy sans comprendre ce qui venait de se passer.
C'est ça, souvent. On veut avoir son instant de gloire, se faire porter, extatique, par les mains attentionnées d'une foule conquise. Et on se fracasse sur le béton comme une merde, et comme une merde aussi, on se retrouve à l'entrée des chiottes sans savoir ce qui a bien pu se passer.
La troisième chose, c'est la cohue de maintenant.
C'est ce qui me monte à la tête et me bouleverse autant que ça me dégoûte. Pas la cohue des manifestants, l'autre. Celle des costards-cravates dans leurs hémicycles et leurs fauteuils en cuir, et leurs rédactions, en train de se poser en moralisateurs blasés devant les mouvements de panique légitime de la rue. Toutes ces choses que je lis et que j'entends, en provenance de bouches dont pas une seconde je ne soupçonnais l'épaisseur de leur opacité.
Evidemment, il y a les Sarkozystes et autres chefs d'entreprises à la ramasse d'un monde qui finira par les bouffer, en train de rigoler devant un mouvement syndical qu'ils jugent puéril, parce que hein, le monde avance, les gars, et il faut arrêter de camper sur des positions rétrogrades ! Le droit du travail ? Les acquis sociaux ? Ah non, mais tout ça, c'est l'histoire ancienne voyons. C'est conservateur ! C'est dépassé ! Allez hop, au boulot ! Vos enfants vous remercieront.
Bon ça, admettons. On en attendait pas moins de ces petites frappes, un CAC dans l'oeil et une main sur la poche. Leurs petits-enfants à eux leur cracheront dessus, ils auront ce qu'ils ont cherché, passons...
Ce qui me déstabilise complètement, ce sont les autres, les indécis qui se demandent encore si tout ça ne serait pas une immense mascarade destinée à faire l'école buissonnière quelques temps. Parce que "il faudrait lire le texte exact pour se faire une idée quand même".
J'ai entendu ça. Je l'ai entendu pour de vrai.
C'est l'effet "Constitution Européenne" ou quoi ?
Oui, non, oui, non, allez savoir, y'a trop de pages à lire...
Alors juste pour mémoire, pas besoin de lire 300 pages. Une seule chose. Une seule. Cette idée de période d'essai de 2 ans.
Tout le reste du texte, finalement, qui s'en préoccupe ?
Juste ces 2 ans. Juste pour résumer.
Qu'est-ce que vous faisiez il y a 2 ans ?
Est-ce qu'il y a 2 ans, vous saviez exactement ce que vous alliez devenir aujourd'hui ?
Je pense à tous ces amis qui ont eu des enfants autour de moi, pendant ces 2 ans.
Qu'est-ce qui empêchera un employeur de virer une fille qui aura décidé d'avoir un enfant pendant ces 2 ans ? Donc voilà, première chose, pas d'enfants pendant 2 ans.
T'avais pas prévu ça, ma jolie ? T'as rencontré l'homme de ta vie et tu veux avoir des bébés avec lui ? Allez hop, va faire ta vie au RMI. Nous on va pas se faire chier avec ton congé maternité.
Mais pas seulement les filles, rassurez-vous...
Admettons, vous, là, vous tombez malade. Pas une grippe, attention, un truc bien grave qui vous envoie à l'hosto pour une durée indéterminée. Vous allez recevoir des fleurs, dans la chambre d'hôpital, ça c'est sûr, mais vous allez aussi recevoir votre lettre de licenciement. Bah oui... Pourquoi se priver ? On va pas se faire chier avec un souffreuteux dans l'entreprise, non mais oh ! Faut que ça tourne ici. La concurrence, tout ça, vous connaissez le topo ! Allez hop ! T'auras qu'à aller voir à l'ANPE pour faire ta formation prévue dans le cadre de la loi sur l'égalité des chances ! De ton lit d'hôpital, t'auras le temps après tout, de discuter avec ton tuteur de tes perpectives d'avenir maintenant que tu t'es fait jeter parce que t'étais malade...
Voilà. Je vais pas plus loin. Rien que ça.
Ya besoin de lire la suite du texte ?
Rien que ça, vous croyez que ça suffit pas ?
Y'a toujours des indécis ? Des qui pensent que "on peut pas trop se faire une idée, tu sais, on entend tout et son contraire, tu vois" ?
Oué, je vois. Je vois très bien même. Je vois très bien à quel point les vieilles techniques fonctionnent encore parfaitement.
Brouiller le tout avec le n'importe quoi pour qu'au final, personne ne sache plus quoi penser et se dise qu'après tout, ce sont des gamins dans les rues, et ils y connaissent quoi à la vie et au monde qui bouge, les gamins ?
C'est ce garçon que j'ai cité plus haut, son incertitude et ses doutes, son opacité et son flou. C'est lui qui m'a jeté par dessus la cohue et m'a fait écrire ça alors que jusqu'ici, je pensais qu'il n'y avait même pas besoin de discuter l'insanité évidente de ce texte de loi.
Et à ceux qui se demande ce que moi je faisais, il y a deux ans... Bah... J'imagine que j'étais en train d'écrire
un texte pour
arsonore. Laurent venait de terminer son morceau (
ici et
ici), et il m'avait juste donné le thème.
Je me souviens, c'était il y a longtemps, et ça s'appelait : "
La rue ne gouverne pas".
Mais alors qui ?
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