Troudair Revolutions

Fil d'info en continu sur les conséquences de la fin du monde qui a eu lieu le 15 décembre 1999.

11 septembre 2006

Jean-Pierre Dupuy

En ces temps de commémoration à tout va, d'uniformes de pompiers et autres fiertés mal-placées, un ouvrage me vient à l'esprit.
Bon, c'est normal, il est tout frais. Je l'ai lu cet été, mais il date d'octobre 2002.
Avant d'en parler pourtant, je vais revenir à la genèse de sa découverte.

Je me souviens que c'est en surfant tout bêtement à la recherche d'informations sur les nanotechnologies il y a quelques années que je suis tombé pour la première fois sur le nom de Jean-Pierre Dupuy. Il avait écrit un article particulièrement puissant, sobrement intitulé "Impact du développement futur des nano-technologies sur l'économie, la société, la culture, et les conditions de la paix mondiale". En quelques points très simple, cet article n'expliquait pas seulement dans quelle mesure les nanotechnologies pouvaient être incontrôlables, mais surtout à quel point l'humanité n'était absolument pas (et n'est toujours pas) prête, au niveau politique, philosophique et social, à les accueillir. L'énonciation du 7ième risque des nanotechnologies, le "méta-risque", résumait à lui-seul la portée de cet article, qu'on pouvait subitement appliquer à bien d'autres domaines que cette science du futur (proche).

Quand on découvre un auteur, philosophe qui plus est, catastrophiste par dessus le marché, et enfin compréhensible pour un néophyte comme moi, vous imaginez bien qu'on cherche à en savoir plus. Je me suis donc rapidement procuré "Pour un catastrophisme éclairé : quand l'impossible est certain" et là encore, belle claque. [Je conseille au passage cette note de lecture appliquée de Henri Prévot] Dans la lignée directe de ce que j'avais cru comprendre de ce fameux "méta-risque", autrement dit la certitude, étant donnée la profusion des risques potentiels, que l'un d'eux se produise effectivement, cet essai était une sorte de guide à l'usage des sociétés post-11 septembre, ou du moins qu'on définit comme tel aujourd'hui, mais qui pouvait tout aussi bien être applicable avant 2001.

Après cette lecture, il devenait évident pour moi que l'ombre du 11 septembre planait sur les textes de Jean-Pierre Dupuy, et je le soupçonnais d'avoir été profondément affecté par cet événément planétaire.
Ce livre dont je voulais parler était en fait la clé qui me manquait et que je n'ai découvert que cet été, à la Fnac d'Avignon (comme quoi, ce festival n'aura donc pas totalement servi à rien).

"Avions-nous oublié le mal ? (Penser la politique après le 11 septembre)" est en effet le texte qui attaque de front la question de ce jour historique, en même temps qu'une charge contre la pensée, disons aristotélicienne, qui a largement dominé les débats par la suite, comme on peut encore le voir aujourd'hui-même au travers des angles choisis par les journaux et les documentaires pour aborder le sujet.
Pour résumer : une cause entraîne un effet, et s'il y a 3000 morts lors d'une attaque terroriste, c'est forcément qu'il y a une raison simple.
Jean-Pierre Dupuy sera peut-être plus clair que moi :
"S'il y a de l'horreur ou de la démence dans un acte, toute la détestation qu'il inspire se portera sur les croyances et les désirs qu'on lui impute comme causes, mais l'acte lui-même se trouvera justifié par ces mêmes causes devenues raisons."
Voilà en gros comment débute cette "anatomie du 11 septembre", remettant sérieusement les pendules à l'heure tout en balayant l'idée de "choc des civilisations" régulièrement avancée dans les analyses les plus respectées.
Ca n'est pas parce que le modèle occidental est différent du modèle arabe qu'il est haï, mais justement parce qu'il est identique.
"Lorsque la fièvre concurentielle s'étend à la planète toute entière et que certains, à ce jeu, perdent systématiquement, il est inévitable que ce mal qu'est le ressentiment (...) produise des ravages."

Posée sur ces mises au point, la pensée de Dupuy peut alors s'envoler et nous emmener bien plus loin que prévu, en particulier quand elle entre en collision avec une autre catastrophe démocratique, le 21 avril 2002 en France.
C'est l'objet et le prétexte de la dernière partie du livre qui pose ni plus ni moins la question (comme lorsque Dupuy parlait de nanotechnologies) : est-ce que nos sociétés modernes sont en mesure de se diriger elles-même ?
Pour y répondre, il faudra passer par plusieurs étapes dont la disqualification de la philosophie française, incapable de saisir à quel point la pensée économique est la nouvelle maitresse des théories d'organisation sociale -

"(...) les philosophes en France sont dans leur grande majorité incultes en matière de théorie économique." (p75)

- mais aussi, encore plus cinglant, le déni total des théories de John Rawls par celui qui fut pourtant le premier à publier en France la traduction de la "Théorie de la Justice", à l'enseigner et la défendre.
Ce revirement anti-économique post-11 septembre est tellement croustillant que je ne résiste pas à l'envie de vous en retranscrire un extrait :

"Je crains que dans l'après-11 septembre, mon jugement n'ait changé du tout au tout. Je regrette aujourd'hui d'avoir tant fait pour la diffusion de cette oeuvre. Elle concerne un monde possible qui serait peuplé de zombies raisonnables complètement étrangers au tragique de la condition humaine, mais ce monde n'est pas le nôtre, hélas peut-être. L'irénisme naïf, pompeux, académique et quelques fois ridicule des développements de Théorie de la Justice m'apparaît aujourd'hui une faute contre l'esprit. Ne pas voir le mal pour ce qu'il est, c'est s'en rendre complice." (p79)

Ouf ! J'ai comme l'impression que j'ai découvert Jean-Pierre Dupuy au bon moment de son oeuvre.

Je ne vais pas dévoiler les théories finales de l'auteur afin de réserver quelques surprises à ceux qui pourraient maintenant avoir envie de le lire (bizarre de parler d'un bouquin de philosophie comme d'un polar, non ?), mais sachez en tout cas que s'il vous prenait l'envie, pour je ne sais quelle raison (la propagande de TF1, la démagogie de Sarkozy, etc.) de commémorer le 11 septembre 2001, le mieux serait encore de le faire en lisant cet auteur primordial.

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2 commentaires:

À 13 septembre, 2006 00:07 , Blogger clem a dit...

Après tout Huntington, Fukuyama et Marx ont été historiens, philosophes voire prophètes. Des visionnaires aveugles, parfois en opposition complète: Huntington annonce un choc des civilisations alors que Fukuyama projette une fin de l'histoire avec une démocratie libérale victorieuse et éternelle.
Qu'est-ce que Marx est puissant dans son analyse, et combien son exemple m'incite à me méfier d'une histoire immédiate.

 
À 14 septembre, 2006 22:15 , Anonymous klu a dit...

"(...) les philosophes en France sont dans leur grande majorité incultes en matière de théorie économique." (p75)

Si une citation en particulier m'incite à me renseigner sur ce loulou pour qui l'ami Trou fait de la retape c'est bien celle-ci. J'en profite pour noter au passage que Marx était, lui, loin d'être une buse en théories économiques, ses interprètes faut voir...
En fait je sais pas vraiment si "les philosophes en France sont dans leur grande majorité" des truffes en éco, mais en tout cas ils se gardent bien de passer au crible de La philo et en tout cas de leur oeil présupposé critique, la dogma en matière économique. Et cela en soit pose un problème, quand il ne s'agit pas tout simplement de leur part d'en épouser (à la dogma) les contours, l'inclinaison, bref de la considérer comme une donnée indépassable. Ce qui est bien pire que de l'ignorance.
Bon puisqu'il faut désormais balourder de la référence céans, j'y vais de la mienne en recommandant "Naissance de la biopolitique" de Michel Foucault, qui tout en étant un inculte de la théorie des jeux et fort peu prolixe en économie industrielle, n'avait pas son pareil en schlagage d'idées (économiques) recues.

 

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