Troudair Revolutions

Fil d'info en continu sur les conséquences de la fin du monde qui a eu lieu le 15 décembre 1999.

16 septembre 2006

We can be heroes

J'évoquais, il y a quelques jours, à propos de la série Heroes, le "questionnement égocentrique de l'homme moderne", sa soif de voir autour de lui des héros et son infini désir de s'aperçevoir qu'il en est un.
C'est ce même processus qui guide la totalité du film "United 93" (Vol 93 en français), réalisé par Paul Greengrass.
Et si les mots de Bertold Brecht "Malheureux le pays qui a besoin de héros" s'avèrent justes, alors on ne peut que déplorer à la vision de ce film à quel point le malheur le plus total s'est abattu sur nos nations occidentales.



Ce qui est présenté comme un film "de reconstitution" des 90 dernières minutes du vol United Airlines 93 le 11 septembre 2001 me pose en effet plusieurs problèmes. Car si dans sa précédente tentative de docu-fiction, "Bloody Sunday", Greengrass réussissait à transcender totalement son sujet par une retranscription fidèle des événements du dimanche 30 janvier 1972 à Derry, cette approche du sujet se trouve à l'inverse parfaitement disqualifiée dans "United 93" du fait du manque flagrant et avoué de traces tangibles de vérité.

"Dead men don't talk" disaient les brigands du Far West, laissant un seul survivant dans leurs tueries afin que celui-ci puisse raconter l'horreur qu'il venait de vivre et répandre dans le pays la légende. Dans le vol 93, il n'y eu aucun survivant, et les seuls documents concrets sur lesquels Greengrass et ses collaborateurs ont pu s'appuyer ne furent que les conversations enregistrées par les aiguilleurs du ciel, les appels passés par les passagers à leurs proches à partir des lignes internes de l'avion et les enregistrements des conversations à l'intérieur du cockpit stockées dans la boite noire.
C'est peu. Beaucoup trop peu pour décider de traiter cet événement de la même manière que la manifestation pacifique du 30 janvier 1972 pour laquelle, au contraire, de nombreux témoignages directs ont permis de rétablir une vérité d'une grande fidélité, presque minute par minute. Et soudain, ce procédé qui dans un film apparaissait comme la tentative de faire éclater une vérité connue mais non-médiatisée, se transforme en instrument de mensonge, ou du moins de malhonnêteté.



Absolument rien ne nous dit qu'il n'y eu qu'une seule victime parmi les passagers avant que l'avion ne se crashe.
Absolument rien ne nous dit que les terroristes ont tous résisté jusqu'au bout, et que, par exemple, l'un d'eux ne s'est pas retourné contre ses compagnons.
Absolument rien ne nous dit que les passagers ont découvert qu'un pilote de tourisme était parmi eux, motivant l'espoir de reprendre le contrôle de l'avion.
Personne enfin, et c'est là où je voulais en venir, ne peut prouver qu'un véritable élan d'héroïsme a soudainement frappé tous les passagers qui se sont rués à l'assaut du cockpit comme un seul homme.
Tout ceci, 90% de ce qui est montré comme étant "la vérité", n'est que spéculation prenant pour base les professions et personnalités des passagers et la preuve que ce vol s'est effectivement crashé à la suite d'une lutte dans le cockpit.
Aucun avertissement au début du film ne nous renseigne de cet état de fait et le mode documentaire vient au contraire assoir l'impression de vérité, ou plutôt devrais-je dire, vient assoir le mensonge.



Le faux documentaire est un genre à part entière, que j'adore soit dit en passant, et ma collection de films de Peter Watkins peut en attester.
Mais Paul Greengrass n'est pas Peter Watkins et à aucun moment, le film ne permet au spectateur d'avoir le recul nécessaire à la compréhension du procédé.
"United 93" n'interroge pas sa méthode. C'est au contraire une machine extrêmement bien huilée, conçue dans le seul but de "rendre hommage" à ces passagers "courageux" et "héroïques", mais qui met malheureusement en branle exactement le même attirail médiatique que toute la couverture journalistique du 11-septembre.
Watkins, lorsqu'il conçoit l'un de ses films, n'a qu'une idée en tête, avant même le traitement de son sujet, c'est le traitement du média lui-même, et les moyens de faire comprendre à son public que la méfiance est de rigueur dès lors qu'on présente un événement comme "vrai". Greengrass évacue volontairement ce recul nécessaire, sans même, par exemple, montrer à la fin de son film les visages des véritables passagers du vol 93.
Même Spielberg, dans sa pourtant contestée "Liste de Schindler", avait eu le respect de s'acquiter de cette tâche. Dans cette scène finale du film aux 5 Oscars, le retour à la "réalité" permettait une compréhension du film comme oeuvre de fiction, et non comme exacte retranscription. J'ai même envie de dire que Spielberg n'était pas obligé de passer par là, étant donné que son film, plastiquement, de part l'utilisation du noir et blanc, la construction des plans, et la mise en scène elle-même, ne laissait aucun doute sur la nature fictionnelle de l'oeuvre.
Alors évidemment, on ne doute pas, dans "United 93", d'avoir devant les yeux des comédiens, mais en revanche, l'esthétique documentaire est là pour nous faire gober qu'il s'agit de réalité fidèlement retranscrite.
De mon point de vue, en 2006, à l'heure où les médias audiovisuels ont acquis cette telle puissance de persuasion, se servir de ces même procédés dans un but de célébration d'un événement "probable", n'est pas seulement une escroquerie... c'est purement et simplement de la propagande.

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