Troudair Revolutions

Fil d'info en continu sur les conséquences de la fin du monde qui a eu lieu le 15 décembre 1999.

07 avril 2008

Work in progress : le papier

Plus j'avance dans la rédaction des "Travaillants", et plus se pose un problème auquel je pensais avoir répondu depuis longtemps, et qui est celui de l'édition.

Parce que d'ordinaire, la question ne se pose pas.
Adepte des formats courts, mes diffusions en .pdf sont parfaitement appropriées aux types de textes que j'écris. Soit très courts, donc lisibles sur écran, soit moyennement courts, donc facilement imprimables sur quelques pages A4 de la photocopieuse du bureau, mes textes, jusqu'à présent, n'avaient aucunement besoin de la technique, relationnelle et artisanale, d'une quelconque maison d'édition.

Pourtant cette fois, "Les Travaillants" prend de l'ampleur, et du volume, et l'hypothèse de le diffuser uniquement en .pdf sur ce site m'apparaît de plus en plus comme l'équivalent de le jeter purement et simplement par la fenêtre.
Qui ira imprimer les quelques 300 000 signes (disons environ 150 pages sous Word) de ce texte ? Et pour commencer, qui a imprimé et lu la totalité de "Monochrome IKB n°3" déjà présenté en .pdf ici même, et de volume, disons, moyen ?
A ma connaissance, strictement personne.

Faire le mariole avec la diffusion en ligne, c'est bien mignon, mais encore faut-il que les textes soient adaptés à cette diffusion. Et si le propos exige qu'un texte dépasse le seuil de tolérance de lecture sur écran, il faut fatalement y trouver des aleternatives acceptables d'un point de vue éthique.

Car je suis en train d'écrire cette histoire, et par conséquent, je souhaite qu'on en prenne connaissance, si possible, dès qu'elle sera achevée. Je n'écris pas pour écrire, j'écris pour dire quelque chose qui me paraît important, et urgent. En tant que tels, "Les Travaillants" doivent donc, de mon point de vue, être diffusés le plus largement possible, le plus librement possible et offrir un moyen de les lire le plus confortable possible.

C'est une catastrophe éthique, en ce qui me concerne, et à laquelle je m'efforcerai de remédier dans mes textes à venir, en faisant en sorte qu'ils n'aient plus besoin de passer par cette case, mais cette catastrophe est inévitable et doit être affrontée ouvertement, et non pas niée. Je sais aujourd'hui, à ce stade d'écriture (un peu plus de la moitié du projet), que Les Travaillants devront faire l'objet d'une édition papier, un travail que je ne peux décemment pas demander à mes lecteurs. Et "édition papier" signifie toutes sortes de concessions aux intermédiaires qui mèneront à bien cette édition, à commencer par l'abominable aveu d'impuissance, le lamentable parcours rampant qu'est celui de la recherche d'un éditeur.

Je reste traumatisé par ce genre d'expériences, vécues dans une autre vie, à cette époque où armé de scénarios de courts ou longs métrages, je courais les boites de production pour mendier quelques francs qui me permettent de réaliser n'importe lequel de ces films. Ecoeuré, humilié, recouvert de dizaines de lettres de refus, et de dizaines d'entretiens négatifs, je me suis alors rendu compte qu'écrire un scénario n'était au fond qu'écrire sur le vent, et que tout le travail accompli n'était rien si le film n'était jamais réalisé.

C'est réellement ce qui m'a poussé, d'un côté à faire de la vidéo, c'est à dire des films, tout seul, sans l'aide de personne, et de l'autre à écrire des textes qui, de par eux même, pouvaient être diffusés et compris.

Cette attitude et cette politique artistique autonome, je l'ai depuis maintenant plus de 10 ans, sans jamais envoyer un manuscrit à une maison d'édition, ni une vidéo à quelconque festival, et le simple fait de m'imaginer que dans quelques mois, quand les Travaillants sera un texte achevé, j'aurais à démarcher pour le faire éditer, à me vendre, à mendier, à tendre ma petite main rachitique devant le regard d'éditeurs blasés voyant chaque jour des centaines de penauds comme moi, cette simple idée déjà me révulse et m'écoeure.

Et au fond, la seule consolation que je peux trouver dans cette perspective inévitable, c'est l'idée que le seul texte pour lequel j'aurais à me traîner sur le sol devant les lois du marché, ses apôtres et ses prêtres, c'est le texte qui, le plus profondément de tous ceux que j'ai écrit, parle de cette horreur qu'est la compétition commerciale entre les intimités des hommes, le jugement péremptoire du mieux sur le bon, du médiocre sur le mauvais, et enfin le désespoir profond et le nihilisme le plus sublime qui nous habite tous.

Peut-être que pour ça, la souillure en vaudra la peine.

Libellés : , , ,

8 commentaires:

À 07 avril, 2008 20:09 , Anonymous Anonyme a dit...

C'est un peu dommage de se résigner. Si vous êtes vraiment sincère, vous devriez essayer d'éditer votre livre tout seul. Quand on veut être indépendant en littérature, il y a un moment où il faut se transformer en éditeur, exactement comme un cinéaste indépendant doit se transformer en producteur.

Après tout, écrire un livre ne coûte rien et ça se passe généralement toujours de la même manière, un type tout seul devant son ordi. C'est au moment de la diffusion qu'on peut vraiment repenser l'organisation de la production littéraire, tenter des choses nouvelles, trouver une façon adéquate de se faire entendre.

Si vous êtes motivé vous trouverez sûrement des gens pour vous aider. En tout cas c'est l'occasion de savoir si c'est faisable.

Mais peut-être qu'au fond vous avez quand même envie de savoir si vous pouvez être publié, ça c'est une autre histoire...

 
À 07 avril, 2008 20:37 , Blogger Troudair a dit...

Parfaitement d'accord avec ce que vous dites, Anonyme, y compris la dernière phrase, qui est une vraie question. Car comme je le disais, on peut jouer les marioles, mais au bout d'un moment, on se demande si on est vraiment là par conviction ou par médiocrité.

Néanmoins, pour être plus précis, je pense que le problème de l'édition n'en est pas un. Et je sais que je peux parfaitement faire éditer n'importe lequel de mes textes dans une petite maison d'édition régionale qui le sortira à 300 exemplaires et le présentera fièrement sur le stand "Bourgogne" du prochain salon du livre.

Ce que je pointais aussi et surtout, c'était le problème de la distribution, et ce problème là ne peut être géré autrement que par l'intermédiaire d'une maison d'édition qui possède le réseau et l'aura médiatique nécessaire. Car éditer un livre, c'est bien, mais le distribuer, c'est mieux. Et pour les Travaillants, je ne souhaite pas avoir un livre pour le plaisir de tenir entre les mains l'objet de mon égotisme, mais surtout pour qu'il soit lu.

Bref, tout ça est un peu confus, je le reconnais, mais une fois ce manuscrit terminé, la problématique est simple : 1- je le diffuse sur ce site et 2- je cherche à le faire éditer sur du papier.

 
À 10 avril, 2008 19:22 , Blogger Monsieur Ko a dit...

Propose pour tout tes travaux du Print On Demand type Lulu, sans bénéfices (ou avec si tu veux), ça évitera l'impression ou la lecture sur PDf. Et envoie moi la version finale, tu m'as dis de me retenir et d'attendre alors j'attends. Et moi j'ai lu Ikebana en imprimé (par toi il est vrai). Ne pas baissez les bras. Reviens à la galerie quand tu veux avec du multisupport, sur que le baron t'accueillera à bras ouverts. Bises.

 
À 10 avril, 2008 20:01 , Blogger Troudair a dit...

C'est un peu ce que je disais à M. Anonyme. en fait, le problème n'est pas tant l'édition mais surtout la diffusion, et je crois vraiment pas que lulu soit une aide pour ça, même s'ils prétendent le contraire.
Je vois bien comment fonctionne les internautes. A débouler en masse sur un sujet chaud pendant 2 jours (cf. le post ci-dessus sur la Chine) et puis plus rien parce qu'ils sont passés à autre chose. Je suis peut-être old-school mais je continue à croire que le livre ne fonctionne pas comme ça, pas tant qu'on aura pas mis en vente un e-book fonctionnel.
En attendant, c'est la librairie le nerf de la guerre, et un livre n'est pas en librairie (excepté chez nos amis) sur la foi d'un article sur le web par exemple. Surtout pas aujourd'hui où des armées de représentants sillonnent la France pour tous les gros éditeurs. Avec le volume de titres qui sortent chaque mois, comment un libraire pourrait-il prendre le pari d'acheter un truc en ligne dont il ne connait pas grand chose alors qu'à côté, il se refuse à prendre des livres qu'il aime bien mais pour lesquels il doit déjà faire des choix ?
L'option lulu et compagnie sera peut-être viable dans quelques années, mais aujourd'hui, j'y crois pas des masses...

Et sinon, pour la galerie, j'ai 5000 perf en stock... mais dès que j'aurais fini d'écrire Les Travaillants !

 
À 11 avril, 2008 10:20 , Blogger Monsieur Ko a dit...

Et un festival de fautes pour moi dans le commentaire précédent. Je fatigue. Par contre Amazon propose/doit proposer du P.O.D. avec vente en ligne qui va avec sur le site principal. En matière de librairie c'est plutôt pas mal, non ? Ca manque de libraire, mais tu peux te faire commenter, noter, lire des morceaux...

 
À 12 avril, 2008 11:57 , Blogger c.h. a dit...

j'ai envie et hâte de lire "les travaillants" depuis que j'ai assisté à la lecture à la galerie mycroft ... jamais vécu la recherche d'éditeur tant la publication en ligne est confortable pour les petits textes
sinon, j'ai entendu parler de ce site http://www.comite-de-lecture.com/fonctionnement/index.html qui doit être au moins bien pour tester une lecture "qui-ne-vient-pas-d'un-ami"
bises

 
À 12 avril, 2008 15:39 , Blogger saihtaM a dit...

D'accord avec ce que dit Troudair.
Cela soulève tout de même le problème de l'édition, de la fermeture des gros éditeurs (ceux qui disposent du réseau de diffusion "rouleau compresseur"), du fait que pour un "jeune" auteur (qui n'est pas connu, ce n'est pas une question d'âge), on se dit que ce n'est même pas la peine, que le travail de lecture et repérage des manuscrits n'est pas fait sérieusement, et le pari de la littérature, le pari sur les textes, n'est pas fait.
Pour ma part, j'ai toujours envoyé mes textes, naïvement au début, puis par acquis de conscience ensuite (pour ne négliger aucune possibilité). Je me suis heurté à un mur, sur maintenant presque une quinzaine d'années. Bien sûr, on pourra dire que c'est dû à une mauvaise qualité de ce que j'ai envoyé (je me suis toujours remis en question), mais ma conviction est qu'à l'autre bout de la chaîne le travail n'est pas correctement ni sérieusement fait, d'autant que je trouve la qualité de "ce qui sort" souvent mauvaise, sinon banale, standard, sans surprise, et les exceptions sont rares (je les trouve plus souvent chez des éditeurs modestes).
Au cours de ma vie, j'ai rencontré une vingtaine d'auteurs publiés chez ces "gros" éditeurs (Gallimard, POL, Minuit, Verticales, Seuil, Flammarion, etc.). Au moment de la discussion où je leur ai demandé comment s'est passée leur première publication, il n'y a jamais eu de variation dans leur réponse, quels que soient les détours sémantiques qu'elle a empruntés : c'est par une tierce personne, une connaissance, un ami, une entremise, que le manuscrit est passé. (Je n'ai pas eu la chance que l'un d'entre eux me propose l'aide qu'eux-mêmes ont eu).
Le jeune écrivain est donc condamné à "réseauter" s'il veut faire connaître son travail.
C'est une banalité de l'énoncer, mais je trouverai cela toujours profondément anormal. (Pas le temps de développer, mais je pense que la possibilité de faire connaître son travail, pour un jeune artiste, est supérieure dans les autres champs artistiques, comme la musique ou les arts plastiques. Je pense que la fermeture à ce qui arrive y est moindre que dans le champ littéraire.)
Ceci étant dit, je t'encourage tout de même à essayer. C'est comme la drague, il faut pas avoir peur de se prendre des claques, une baffe, deux baffes, cent baffes s'il le faut. :)

PS : Petite pub, 6 ans après l'avoir écrit et envoyé à 72 personnes, mon texte "Anaérobiose" devrait paraître cette année... chez un petit éditeur. L'important est tout de même que les textes existent, même mal diffusés. Entre temps j'ai écrit six autres livres et mon écriture a profondément changé...

 
À 30 avril, 2008 16:58 , Blogger Frédéric a dit...

Salut, ici MUTANT ANACHRONIQUE-1 (le garçon, si tant est que l'expression s'applique encore à mon grand âge), qui te prie de noter que tu te fais trop rare par ici, dans notre soi-disant ville-lumière... Pour ma part, des refus de manuscrits, j'en ai essuyé un certain nombre car j'ai quand même écrit 2 romans (en fait presque 3, mais il y a eu une sortie de rails), plus un poème narratif de 80 pages, une pièce de théâtre, et je suis à peu près certain que j'en oublie. En fait je ne m'en vante pas d'habitude car, à l'inverse du texte co-signé avec Emma (MA-2) sur STASE, ces créations ne me paraissent pas toujours mériter, rétrospectivement, qu'on se batte pour elles. Ce qui est certain est que ce qu'on lit souvent sur le Net, comme quoi les mauvais textes seraient publiés et pas les bons, me paraît très excessif. A propos des miens j'ai toujours eu tendance à penser qu'ils avaient le défaut de n'être ni assez mauvais pour intéresser les cons, ni tout à fait assez bons pour justifier que quelqu'un d'autre s'expose à perdre du fric pour l'honneur de révéler ma Parole à l'Humanité. Sauf qu'Emma et moi sommes en ce moment confrontés à un dilemme similaire au tien, car ce qui est sur le site, oui nous en sommes fiers, et en même temps nous savons que sous cette forme les gens ne liront jamais qu'une part minime de cet ensemble. Hors notre récit, s'il autorise divers sens de lecture, prend toute sa résonance en tant qu'il constitue un ensemble. Tu as d'ailleurs raison de mentionner le e-book, qui de notre côté nous permettrait peut-être de concilier la quantité et le fonctionnement hypertexte. Mais bon, là n'est pas l'essentiel. Le problème, au fond, c'est que chez Mycroft, par exemple, nous n'avons affaire qu'à des gens que nous estimons, voire, dans certains cas, admirons. Et la lecture que nous avons eu la chance de faire avec toi constituait, en soi, une expérience artistique gratifiante. Alors qu'ailleurs, dans le système commercial, on risque d'avoir à se fader au moins en partie les mêmes cons qui nous ont empoisonné la vie dans tous nos boulots alimentaires... Question d'éthique ou d'amour propre? Ou est-ce finalement la même chose?

 

Enregistrer un commentaire

<< Accueil