Troudair Revolutions

Fil d'info en continu sur les conséquences de la fin du monde qui a eu lieu le 15 décembre 1999.

13 avril 2006

Prendre le temps

En écoute, non-stop, au boulot, j'ai l'avant-dernier album de Johann Johannsson, "Virthulegu forsetar".
A mi-chemin entre Gavin Bryars et Sigur Ros, vraiment le genre de musique subtile à écouter au calme.
Variations infimes sur un même thème d'un peu plus d'une heure, avec des plages de silence jamais vraiment silencieuses, une marche lancinante sans apothéose qu'on peut sans problème faire tourner en boucle, pour peu qu'on ait les nerfs assez solides.
Parce que je m'aperçois de plus en plus que rares sont les personnes à pouvoir apprécier 1- le répétitif ou 2- l'absence de développement, disons, tragique (début/milieu/fin).

Mon idée là-dessus, c'est que de toute évidence, on oblige nos constructions de l'esprit, oeuvres d'art ou carrières ou voyages (oui, un voyage est une construction de l'esprit), à adopter des structures directement liées à celle qu'on se fait de nos existences, bornées aux concepts de début, de développement et de fin, tout simplement parce qu'on a admis qu'une vie, c'était un temps de parole délimité par la naissance et la mort.
Apprécier qu'un objet se contente d'être là, sans peu ou pas varier, est une pensée qui nous est insupportable et qui le sera de plus en plus, tellement le monde qui nous entoure pose comme inévitable à notre accomplissement les notions "d'épanouissement", de "progression", de "réussite".
Si "Virthulegu forsetar" pouvait parler, si cet album était un citoyen européen, ou américain, au terme de sa diffusion, il ne fait aucun doute qu'il pourrait dire "j'ai gâché ma vie", puisque rien ne le conclut, et qu'aucun chemin ne se dessine dans son évolution au fil du temps.

Je ne vais pas refaire l'histoire des philosophies orientalistes, et de la musique qui va avec, Lamonte Young s'en est déjà bien chargé, ainsi que, moins connu, Simon Wickham-Smith, mais je regrette vraiment que ces recherches, et ces pensées sur l'art et l'existence, à mon avis profondément utiles, soient de plus en plus bafouées et balancées au rayon "folklore" d'un revers de la main.
Je pense que Johann Johannsson, sous ses airs d'islandais à musique planante, est vraiment en lutte contre ces visions mortifères de l'existence. Et franchement, regardez autour de vous, pas forcément du côté des artistes, mais partout, combien d'entre nous le sont encore aujoud'hui ? Combien n'ont pas baissé les bras devant la masse gluante des partisans de la "croissance" et du "travail" et de la "réussite" ?
A l'heure où le candidat du Parti Socialiste français le plus populaire est une personne jugeant les politiques économiques libérales anglaises séduisantes, on est en droit de se demander s'ils restent des hommes ici-bas, et si jamais il en reste, combien de temps tiendront-ils encore avant de sombrer à jamais dans le désespoir, jugeant qu'il est inutile de dire ou de faire quoi que ce soit face à la somme de vacuité, d'ignorance et de haine qui se dresse chaque jour davantage en face d'eux.

J'ai dit ça aujourd'hui.
Ca vaut ce que ça vaut.
Mais combien de messages sur les skyblogs de skyrock, combien d'infos dans les fils d'agence de presse, combien de transfers de mails débiles dans les boites électroniques ont noyé ce simple post ici, où presque personne ne peut le lire ?
Et combien de personne iront voir Johann Johannsson en concert à Paris le 9 mai prochain ?
Peut-être même pas moi.
Parce que j'aurais sûrement pas le temps.

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