Troudair Revolutions

Fil d'info en continu sur les conséquences de la fin du monde qui a eu lieu le 15 décembre 1999.

24 novembre 2005

Racisme et logement social

Contrairement à la presse et à l'opinion publique qui se fout de ces dernières semaines comme de sa première grippe aviaire, on en n'aura jamais fini avec le problème des banlieues, ou plus généralement du racisme. Parce que je sais pas vous, mais en ce qui me concerne, parler de "jeunes", ou de "jeunes de banlieues", qu'ils soient "défavorisés" ou "en difficulté", tout ces jolis mots qu'on leur a inventé gentiment, relève pour moi du racisme, purement et simplement. Ni plus et ni moins. C'est probablement pour ça que nous sommes si prompts à trouver d'autres sujets de conversation depuis que nos bagnoles ont fini de brûler et que les assurances les ont copieusement remboursé rubis sur l'ongle (qui racle le parquet au passage). On en parle plus, mais on garde ça quand même dans un coin de notre tête, comme un état d'urgence invisible, qu'on n'a oublié mais qui est là, et qu'on saura ramener à la surface quand il s'agira de mettre un bulletin dans une urne, dans pas très longtemps d'ailleurs.

Alors puisque SAS Sarkozy, récement couronné sur son rôcher, persiste et signe, je crois qu'il nous faut aussi persister, et faire péter les signatures au bas du chef d'accusation de la société française, nous les Blancs, nous les François de Souche, avec notre pinard et notre baguette de pain, faire entendre un peu notre voix, parce que celle du petit rebeu, plus personne ne l'entend depuis longtemps. Qu'il se contente de nous refourguer du shit, le rebeu, pour le reste, on verra plus tard. Comment elle pourrait avoir la moindre valeur, sa voix ? Il est pas objectif le rebeu, il est insurgé, il est nerveux, il a le sang chaud, vous savez bien, comme tous les gens du sud. C'est pas vrai ?

Non, c'est pas vrai. Mais c'est ce que tout le monde pense, les 57% de Sarkozystes en tête. Qu'il a qu'à trouver du boulot au lieu de brûler des bagnoles. Komment k'on a fait nous ? Hein ? Hein ?
Alors pour ne pas noyer ce putain de débat dont je sens qu'il est en train de sombrer dans l'indifférence la plus complète, c'est à ceux dont on entend la voix et dont on lit les mots qu'il convient de réagir. Ce ne sera pas de l'humanitaire. Ce ne sera pas du karcher. Il est juste question de défendre les droits, du citoyen en particulier et de l'homme en général.

Aujourd'hui, c'est Alain Badiou qui y va de son témoignage. Et c'est dégueulasse comme procédé, je le reconnais. Mettre en bas de la page que ce monsieur est professeur de philo à Paris VIII, c'est dégueulasse, parce qu'il n'y a aucune raison pour que son témoignage ait plus de valeur que tous ceux qui ont pu être lus sur tous les blogs qui se sont enflammés ces dernières semaines. Mais c'est comme ça que ça marche dans cette France raciste et qui n'a toujours pas oublié qu'elle était colonisaliste. Si on est un professeur de faculté blanc, on nous écoute. Alors je me range du côté de ceux qui se sentent obligés de parler, au nom de tous les autres qui crient dans le vide intersidéral.

Un son, c'est une vibration. Une molécule d'air qui fait vibrer la molécule d'à côté.
Mais dans le vide intersidéral, il n'y a qu'un atome au mètre cube. Et donc aucune réaction en chaîne. C'est pour ça qu'on entend rien dans les scènes d'extérieur de 2001 de Kubrick, et c'est aussi pour ça que "dans l'espace, personne ne vous entendra crier".
L'espace est ici. Sur Terre. En France. Si t'es rebeu ou négro, t'es dans l'espace. Et tu peux gueuler autant que tu veux, c'est mort. Alors pourquoi pas faire de la lumière, un petit feu de joie, non ? On sait jamais, ça peut marcher.
Mais non, ça n'a pas marché non plus. Et c'est toujours au Blanc de prendre la parole.

Aujourd'hui donc, c'est Alain Badiou, le Blanc. Un texte que j'ai reçu via une liste d'information mais qui est aussi disponible sur le site de Multitudes. Je préfère néanmoins le republier ici, parce qu'à mon avis, balancer un pavé comme ils l'ont fait sur ce site, sans saut de ligne ni paragraphe, c'est vraiment la meilleure manière pour décourager quiconque de le lire...

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L'humiliation ordinaire, par Alain Badiou

"Constamment contrôlés par la police." De tous les griefs mentionnés par les jeunes révoltés du peuple de ce pays, cette omniprésence du contrôle et de l'arrestation dans leur vie ordinaire, ce harcèlement sans trêve, est le plus constant, le plus partagé. Se rend-on vraiment compte de ce que signifie ce grief ? De la dose d'humiliation et de violence qu'il représente ?

J'ai un fils adoptif de 16 ans qui est noir. Appelons-le Gérard. Il ne relève pas des "explications" sociologiques et misérabilistes ordinaires. Son histoire se passe à Paris, tout bonnement.

Entre le 31 mars 2004 (Gérard n'avait pas 15 ans) et aujourd'hui, je n'ai pu dénombrer les contrôles dans la rue. Innombrables, il n'y a pas d'autre mot.
Les arrestations : Six ! En dix-huit mois... J'appelle "arrestation" qu'on l'emmène menotté au commissariat, qu'on l'insulte, qu'on l'attache à un banc, qu'il reste là des heures, parfois une ou deux journées de garde à vue. Pour rien.

Le pire d'une persécution tient souvent aux détails. Je raconte donc, un peu minutieusement, la toute dernière arrestation. Gérard, accompagné de son ami Kemal (né en France, Français donc, de famille turque), est vers 16 h 30 devant un lycée privé (fréquenté par des jeunes filles). Pendant que Gérard fait assaut de galanterie, Kemal négocie avec un élève d'un autre lycée voisin l'achat d'un vélo. Vingt euros, le vélo, une affaire ! Suspecte,
c'est certain. Notons cependant que Kemal a quelques euros, pas beaucoup, parce qu'il travaille : il est aide et marmiton dans une crêperie. Trois "petits jeunes" viennent à leur rencontre. Un d'entre eux, l'air désemparé : "Ce vélo est à moi, un grand l'a emprunté, il y a une heure et demie, et il ne me l'a pas rendu." Aïe ! Le vendeur était, semble-t-il, un "emprunteur". Discussion. Gérard ne voit qu'une solution : rendre le vélo. Bien mal acquis
ne profite guère. Kemal s'y résout. Les "petits jeunes" partent avec l'engin.

C'est alors que se range le long du trottoir, tous freins crissants, une voiture de police. Deux de ses occupants bondissent sur Gérard et Kemal, les plaquent à terre, les menottent mains dans le dos, puis les alignent contre le mur. Insultes et menaces : "Enculés ! Connards !" Nos deux héros demandent ce qu'ils ont fait. "Vous savez très bien ! Du reste, tournez-vous - on les met, toujours menottés, face aux passants dans la rue -, que tout le monde voie bien qui vous êtes et ce que vous faites !" Réinvention du pilori médiéval (une demi-heure d'exposition), mais, nouveauté, avant tout jugement, et même toute accusation. Survient le fourgon. "Vous allez voir ce que vous prendrez dans la gueule, quand vous serez tout seuls." "Vous aimez les chiens ?" "Au commissariat, y aura personne pour vous aider."

Les petits jeunes disent : "Ils n'ont rien fait, ils nous ont rendu le vélo." Peu importe, on embarque tout le monde, Gérard, Kemal, les trois "petits jeunes", et le vélo. Serait-ce ce maudit vélo, le coupable ? Disons tout de suite que non, il n'en sera plus jamais question. Du reste, au commissariat, on sépare Gérard et Kemal des trois petits jeunes et du vélo, trois braves petits "blancs" qui sortiront libres dans la foulée. Le Noir et le Turc, c'est une autre affaire. C'est, nous raconteront-ils, le moment le plus "mauvais". Menottés au banc, petits coups dans les tibias chaque fois qu'un policier passe devant eux, insultes, spécialement pour Gérard : "gros porc", "crado"... On les monte et on les descend, ça dure une heure et demie sans qu'ils sachent de quoi ils sont accusés et pourquoi ils sont ainsi devenus du gibier. Finalement, on leur signifie qu'ils sont mis en garde à vue pour une agression en réunion commise il y a quinze jours. Ils sont vraiment dégoûtés, ne sachant de quoi il retourne. Signature de garde à vue, fouille, cellule. Il est 22 heures. A la maison, j'attends mon fils. Téléphone deux heures et demie plus tard : "Votre fils est en garde à vue pour probabilité de violences en réunion." J'adore cette "probabilité". Au passage, un policier moins complice a dit à Gérard : "Mais toi, il me semble que tu n'es dans aucune des affaires, qu'est-ce que tu fais encore là ?"
Mystère, en effet.

S'agissant du Noir, mon fils, disons tout de suite qu'il n'a été reconnu par personne. C'est fini pour lui, dit une policière, un peu ennuyée. Tu as nos excuses. D'où venait toute cette histoire ? D'une dénonciation, encore et toujours. Un surveillant du lycée aux demoiselles l'aurait identifié comme celui qui aurait participé aux fameuses violences d'il y a deux semaines. Ce n'était aucunement lui ? Un Noir et un autre Noir, vous savez...

A propos des lycées, des surveillants et des délations : j'indique au passage que lors de la troisième des arrestations de Gérard, tout aussi vaine et brutale que les cinq autres, on a demandé à son lycée la photo et le dossier scolaire de tous les élèves noirs. Vous avez bien lu : les élèves noirs. Et comme le dossier en question était sur le bureau de l'inspecteur, je dois croire que le lycée, devenu succursale de la police, a opéré cette
"sélection" intéressante.

On nous téléphone bien après 22 heures de venir récupérer notre fils, il n'a rien fait du tout, on s'excuse. Des excuses ? Qui peut s'en contenter ? Et j'imagine que ceux des "banlieues" n'y ont pas même droit, à de telles excuses. La marque d'infamie qu'on veut ainsi inscrire dans la vie quotidienne de ces gamins, qui peut croire qu'elle reste sans effets, sans effets dévastateurs ? Et s'ils entendent démontrer qu'après tout, puisqu'on les contrôle pour rien, il se pourrait qu'ils fassent savoir, un jour, et "en réunion", qu'on peut les contrôler pour quelque chose, qui leur en voudra ?

On a les émeutes qu'on mérite. Un Etat pour lequel ce qu'il appelle l'ordre public n'est que l'appariement de la protection de la richesse privée et des chiens lâchés sur les enfances ouvrières ou les provenances étrangères est purement et simplement méprisable.
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Et pour finir sur le logement social, un peu d'autopromo.
Ca m'a fait drôle d'entendre Chirac, dans un discours officiel de Président (Directeur Général) de la France, soudain parler de logements sociaux. Et Sarkozy de lui emboîter le pas en disant que vraiment, non, ça sert à rien, c'est pas la solution, tout malin de déclarer à Ouest France que "la bonne politique du logement ne consiste pas à couvrir la France de logements sociaux".
"Couvrir". Un peu comme "envahir", quoi. Un peu le même champ lexical que les maires de banlieues chics qui disent publiquement "on veut pas de ça chez nous".
"Ca", l'inconscient destructeur freudien comme voisin de palier, vous imaginez l'horreur ? Heureusement que le sur-moi sarkozien est là pour veiller au grain, non ? A quel moment le Sur-moi devient plus destructeur que le Ca, c'est une autre histoire...

En juin dernier, vous vous souvenez peut-être, je vous parlais d'un livre auquel j'avais participé et qui venait de sortir.
Le principe était simple. Envoyer quelques auteurs dans les "quartiers", les "cités", et faire des portraits des gens qui y habitent, certains depuis plus de 50 ans (oui, oui, c'est possible).
C'était une commande de l'Office HLM d'Auxerre et je n'avais pas jugé utile, à l'époque, de publier les textes que j'avais fait pour l'occasion. Sauf qu'aujourd'hui, je vois bien le niveau des ventes. Je vois bien que même la presse locale a oublié qu'on avait fait ce truc, alors les autres personnes de France qui me lisent, vous pensez bien... Donc voici l'un des deux portraits que j'ai fait. Il y en a plus de 20 autres dans ce livre que tous les petits malins en costard qui nous parlent aujourd'hui de logement social avec tellement d'assurance feraient bien de lire. Retrospectivement, je m'aperçois que cette expérience, c'était vraiment une bouffée d'oxygène. Le fameux air qui manque pour qu'on puisse entendre quelque chose dans le vide intersidéral.
Ce bouquin, c'était les molécules manquantes.
Et qu'est-ce qu'on a pu entendre grâce à elles ? Des pleurs ? Des cris ?
Aucun. Juste les paroles des gens qui vivent.
Des gens. Qui vivent.
Un truc que les 57% de Sarkozystes ont tendance à oublier.
Ce texte s'appelle "Décontraction engagée", et il est disponible en cliquant ici => Décontraction engagée

« Quartiers de vie - Auxerre 2005 », Office auxerrois de l’habitat.
Textes de P. Bénard, G. Courtois, B. Dupin, R.J. Favier, B. Guibert, F. Huart, A. Kewes, A. Lambert, J.M. Perret, E. Poulet-Reney, V. Roussot, P. Thuru.
Photographies de N. Gallon.
Réalisation de Rico.
96 pages, 10 euros et (malheureusement) disponible uniquement dans les librairies d'Auxerre. C'est con, hein ?

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1 commentaires:

À 27 novembre, 2005 00:03 , Anonymous k/lu a dit...

Bourdieu disait en substance, dans la sociologie est un sport de combat, on peut brûler des voitures à condition d’avoir un discours.

C’est un élément du problème en effet, ce discours est ou inaudible, ou pour certains, inexistant.
Inaudible il l’est parce qu’il est rendu tel par un traitement médiatique ségrégationniste d’une manière générale à l’égard des dominés.
Inaudible aussi, parce qu’il n’existe pas de mise en forme revendicative, d’organisation claire, représentative, capable de le tenir.
Inaudible sûrement enfin, parce que le pouvoir est sourd, prenant prétexte de l’argument précédent pour mieux débrancher son sonotone.
Pourtant le discours existe, pour peu que l’on y prenne attention. D’abord par les acteurs eux mêmes, si l’on cherche véritablement à entendre et non à travestir, si l’on prend du temps pour recueillir, mettre en perspective, nourrir…bref informer. Certains rappeurs se sont essayés à le tenir et se sont pervertis dans les paillettes du star système. Les sociologues bourdieusiens de service ont bien souvent décodés et compilés patiemment les pièces du puzzle, pour donner du sens et mettre en lumière ce qui à première vue ne serait qu’un hoquet passager, une saute d’humeur.
Non il s’agit bien d’un phénomène structurel et grave. Un signe d’échec patent du pacte républicain, qui trace désormais sans vergogne la ligne de démarcation entre citoyens actifs et passifs : le cens caché. Il se niche dans un ensemble de causes diffuses non réductibles aux comportements de certains membres des forces de l’ordre chauffées à blanc par les éructations de leur chef suprême. Il s’agit de discrimination à l’emploi, au logement, mais aussi d’histoires et de parcours personnels et familiaux, illustrant cruellement la reproduction sociale. L’anomie frappant des gosses incendiaires, tiraillés entre les valeurs du flouze vantées chaque jours et leur propre condition, ne doit pas tenir lieu de clef explicative unique, ni même d’excuse pratique.


Le 10 novembre Sarko chez Chabot, a osé nous expliquer que les étrangers Chinois, Suédois, ou Hongrois (sic) ne posaient pas de « problèmes ». Il en déduisait donc que la différence était d’ordre culturel. Il aurait tout aussi bien pu parler « d’ethnie » ou de « race ». A un détail près…

 

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