
e moteur du demi-C15 démarra au quart de tour et au grand soulagement de Dominique. La mécanique du véhicule ne semblait pas avoir été affectée par l’amputation de sa partie supérieure, ce qui arrivait parfois avec les voitures, les poulets et les humoristes de France Inter.
— Il faut voir le bon côté des choses, dit PétuniaLove. Maintenant, t’as une caisse relativement décapotable.
Dominique ne répondit pas et se contenta d’attendre, grave et stoïque, au volant de sa camionnette relookée, le pare-brise fissuré donnant sur un paysage désolé, encore plus criblé de cratères et de points noirs que le visage de Timéo, élève de 4e B au collège René Cassin de Cosne sur Loire.
Encore sous le choc, Jean approchait machinalement, prêt à embarquer, lui aussi, quand le doux visage de Brendy lui revint à l’esprit. Il se retourna, chercha du regard, mais ne vit pas la journaliste. Son cœur se serra en imaginant la jeune femme écrabouillée par un caillou géant ou carbonisée par une explosion. Il fut soulagé en apercevant Brendy, au loin, marchant d’un pas décidé au milieu des voies, enjambant les débris de wagons, contournant les restes fumants de voyageurs dont les téléphones portables, connectés à Netflix, demandaient bêtement « Vous êtes encore là ? »
Jean s’élança à sa poursuite et la rattrapa sans peine, tant il n’était pas aisé de progresser en talons aiguille sur les traverses et le ballast.
— Brendy ! Attendez !
Le jeune homme prit doucement la main de la jeune femme, qui ne résista pas, et stoppa sa folle échappée.
— Ça me saoule, fit-elle en shootant sans conviction dans la dépouille d’un contrôleur. Je rentre chez moi.
— Mais vous allez vers le nord. Perpignan, c’est au sud.
— Vous êtes sûr ?
Ils se faisaient face. Jean prit dans sa main l’autre main de Brendy. Ils ne se quittaient pas des yeux, leurs doigts emmêlés comme des nouilles japonaises, ceci dit sans jugement de valeur (on est en 2024, je vous rappelle).
— Oui, je suis sûr, dit Jean. Mais c’est normal que vous soyez déboussolée. Et en plus, il y a peut-être une autre solution. Vous pourriez essayer de prendre le train à Nevers.
— À neuf heures ?
— Non, à Nevers.
— À quelle heure il part ?
— Je crois à dix heures ?
— Deezer ?
— Oui, dix heures.
— Ah ! Dix heures !
— Oui, dix heures, c’est ce que je dis. Dominique peut nous emmener à Nevers pour dix heures.
— Nous ?
— Oui, nous. Je vous accompagne. C’est trop dangereux.
Malgré la confusion de cette conversation, le cœur de Brendy bondit quand même car c’était la première fois que quelqu’un prenait autant soin d’elle. Cela lui fit peur d’être autant dépendante. Elle pensa à Eric Ciotti et elle retira ses mains de celles de Jean.
Ils retournèrent au parking et, quelques minutes plus tard, Dominique roulait en direction de la pépinière, car Jean souhaitait s’assurer, avant de partir, que sa mère allait bien.
Le chemin passait devant l’auberge de la Chevrette Borgne et les passagers découvrirent avec stupeur qu’elle avait été entièrement détruite. Il ne restait plus de l’établissement qu’un amoncellement de bois et de gravats, au sommet duquel Jacqueline pleurait, tout en caressant le crâne poilu de Gisèle, toujours borgne, mais miraculeusement indemne.
Ils descendirent, désolés, ne sachant quoi dire pour réconforter la patronne qui avait tout perdu en quelques minutes. C’était la même sensation d’impuissance et de pitié que s’ils s’étaient retrouvés, le soir du 7 juillet, au siège du RN.
— Ça va aller, Jacqueline, dit enfin Brendy. Vous verrez, Jordan et Marine finiront par redresser le pays.
Depuis son perchoir, Jacqueline s’insurgea.
— Mais ça va pas ? Je déteste le RN moi !
— Ah bon ? s’étonna Brendy. Mais l’autre nuit, pendant la tempête, vous parliez de supprimer la cour européenne des droits de l’homme, de supprimer le droit du sol, de réserver les allocations aux Français.
— Bah oui, dit Jacqueline. Je suis de droite. Je vote Républicain ! Sûrement pas pour ces nazis du RN ! Rien à voir ! Rien !
