01- intro

instrumental

02- la stèle

qu'elle le veuille ou non, je vais partir
c'est dans d'autres bras que je veux mourir
ce n'est pas la patrie qui m'appelle
mais l'épitaphe gravée sur ma stèle

qu'elle le veuille ou non, je dois partir
pour que sur ma tombe, on puisse écrire
que j'ai été brave, que j'ai été bon

elle me dit que tout est terminé
qu'il n'y a plus rien à faire
je n'ai pas le courage d'expliquer
que nous sommes toujours en guerre

03- une lettre de maman

mon cher petit,
j'espère que tu te portes bien là où tu vis
j'espère que tu rencontres des gens bien
j'espère tant de choses pour toi
j'espère que tu me donnera de tes nouvelles bientôt
parce que même si je sais, parce que même si je te fais confiance,
je m'inquiète un peu quand même
je sais que tu vis toujours au même endroit
parce que les lettres que je t'envoie ne reviennent pas
et que le facteur m'a assuré que tu n'avais pas déménagé
pour ce qui est d'ici, de la maison, tout va bien
tout va bien à la différence près que tu n'es pas là
près de nous
ne fais pas trop de bêtises
prends bien soin de toi
et si tu as un peu de temps n'hésite pas à nous écrire un petit mot
pour nous dire ce que tu fais
là bas
à très bientôt,
maman

04- une soirée calme

pour moi il est temps de partir
dans la lumière orange des lampadaires
au bout du quai désaffecté une silhouette disparaît
et ce n'est
pas toi
c'est une soirée calme
une soirée calme
calme
une soirée calme
calme
une soirée calme
une soirée calme
une soirée calme
calme

05- courez compagnons

courez compagnons
les chiens s'arrêteront
à la première rangée d'arbres

au delà, il craignent les bois
et les secrets qu'ils renferment
la pénombre des vieilles sèves
et les fantomes génétiques
de leur histoire de loup

courez compagnons
la cache n'est plus très loin
restent deux ou trois foulées

là-bas, nous attendrons le jour
la nuit blessera nos ennemis

nous serons blottis sous terre
et silhouettes de nous-mêmes
apprendrons à être morts

06- dites-lui

ça fait un moment que je ne vous ai pas vu
comment vont les enfants ?
personne n'est malade ?
l'hiver n'était-il pas trop dur ?
pour nous, ici, on se plains pas
on a pas le temps de devenir amis
de toute façon personne n'est là pour ça
dites-lui que je l'aime
malgré tout que je l'aime
et qu'elle ne m'attende pas
car je suis déjà là
dites-lui qu'elle comprendra quand elle verra la stèle
qu'il y a des choses qu'on ne peut plus dire
dites-lui que je pense à elle
qu'au milieu des champ de mines,
je m'imagine qu'elle attend de l'autre côté
dites-lui que ça me fait avance
elle ne comprendra pas mais dites-lui quand même ça
et qu'elle ne m'attende pas
car je suis déjà là
je suis déjà là
déjà là
je suis déjà là
déjà là
je suis
déjà là
dites lui
dites lui
dites lui

07- ici vécut et fut arrêté XXX

ici vécut et fut arrêté
résistant fusillé par les nazis
à
le
42

aujourd'hui sa chambre est vide
il n'y a plus personne a fusiller
et la plaque fixée au mur
sous les deux chiens assis
tient nos révoltes à distance
comme les potences pourissantes
les échafauds coagulés
les esclaves crucifiés
sur la route de Rome
sur la route de Rome

ici vécut et fut arrêté
résistant fusillé par les nazis
à
le
42

aujourd'hui les maquis flambent
ravagés par l'abandon
les poings ne sont plus serrés
parce que c'est
trop ridicule
parce qu'il faudrait se battre
contre père et mère
forcer amis et frères
à nous mener au piloris
et ne le pas regretter
ici vécut et fut arrêté
résistant fusillé par les nazis
à
le
42

08- studio

les / habits / éparpillés / sur / la / moquette
le / magneto / qui / tourne / en / remuant / ses / têtes
les / livres / à / moitié / lus
frigo / plein / frigo / vide
un / cri / quelque / part / au / travers / des / cloisons
un / rire / de / jeune / fille
l'annuaire / de / la / ville / fermé / à / la / bonne / page
l'originalité / l'honneteté
la / saveur / la / peau / blanche
le / café / l'humidité / le / froid / l'odeur / des / épices
l'idée / d'une / plaque / chauffante
frigo / plein / frigo / vide
et / le / doigt / sur / le / ventre

09- dans la brume du matin

on était deux dans la vallée
l'herbe était trempée
avec la brume du matin
on y voyait rien
il aurait pu y avoir n'importe quoi
devant nous
mais on avançait
tous les deux dans la vallée
en se frôlant les coudes
pour se dire qu'on était là et pas ailleurs
et pas dans les draps
de celles qui ne nous attendaient pas
on leur en voulait pas
parce qu'il y en avait d'autres
d'autres à détester
il y a eu un bruit
et on s'est jeté sur le sol
l'herbe était trempée
l'air était glacial
il y a eu un bruit
mais j'étais le seul à m'être jeté
car l'autre était tombé
sans rien décider
et le bruit dans l'air glacial
c'était celui de la balle
qui venait de lui traverser le crâne
j'ai cru l'entendre murmurer
contre l'herbe trempée
ou alors ce devait être moi qui priait

je ne me suis pas relevé
et j'ai attendu les yeux fermés
parce que je voulais rester contre l'herbe trempée
et dans l'air glacial
puis des pas se sont approchés
et on m'a emmené plus loin
contre les arbres
avec la brume du matin
je n'y voyais rien
ni visage ni uniforme
mais j'ai su qu'arrivait le moment
dans la brume du matin
il aurait pu y avoir n'importe quoi devant moi
mais je savais
j'aurai pu imaginer que j'étais seul
dans l'air glacé de la vallée
que devant moi il n'y avait pas
10 canons braqués et 10 yeux gauche fermés
j'ai entendu siffler les balles
et me suis écroulé contre l'herbe trempée
qui raffraichissait le métal brulant
la honte d'être tombé
j'ai serré les poings dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin
dans la brume du matin

10- éloge du béton

les craquelures sous nos pieds
dessinent des cartes du monde
celui qu'on a trop rêvé
celui dont parlent les radios
strié de peuple identiques
que d'autres vents font sécher
sur le goudrons similaires
de villes aux noms exotiques

je vais souvent les jours vides
dans les rues sentir l'air chaud
la poussière et le bitume
y contempler les couleurs
respectueuses des vivants
ternes par modestie
pour que la seule clarté soit celle
de nos corps blanchis

mes mains se posent sur le sol
je sens gronder la ville tiède
murmurer les véhicules
les entrailles moites du quartier
les chants des gosses oubliés
le bruit des vitres brisées
les chiens qui gueulent à la lune
et dans les cages d'escalier
dans les parkings désertiques
les abris-bus salutaires
là où se forgent nos suppliques
je sens que vbougent les pavés
que sous la frèle carresse de nos désirs fauchés
une pyramide se dresse
et neuf merveilles
à côté

11- restons-en là

je n'ai pas
de quoi te satisfaire
restons en là
restons en là
tu as mieux à faire
il fallait que je sois
quelqu'un de plus savant
quelqu'un de plus drôle
quelqu'un que je ne suis pas
restons en là
restons en là


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no-© Grégoire Courtois
2002