#1 La Guerre des Mondes
Réalisé par Steven Spielberg en 2005
Introduction au désastre
Pour survivre,
Hollywood doit détruire Hollywood
et se reconstruire,
sans cesse,
comme la demeure de bambou
d’un paysan tenace
sur les côtes déchirées
d’Hokkaido.
Dans cette boucle vitale
où la mort engendre la vie
et la vie mène inéluctablement à la mort,
Hollywood tient lieu de repère,
de guide,
de prophète,
et poursuit le but avoué
d’enseigner à l’homme
la fin de l’homme
et sa perpétuelle renaissance.
Les vents purificateurs
Afin d’exposer notre destruction,
il convient d’exposer ce qui doit être détruit,
c’est à dire nous, et tout ce que nous avons engendré.
La tempête est une forme pratique,
qui nous fait plonger sous les draps,
la nuit.
On ne combat pas une tempête,
on l’essuie,
autrement dit on y survit, ou pas,
avant de s’affairer à effacer les marques de son passage.
Aux Antilles, les habitants d’une ville qui vient de subir le passage d’un cyclone ne disent rien.
Ils se regardent,
ils marchent lentement,
et dans leurs yeux,
dans leur pas,
c’est le parfum de l’après-monde qui vibre.
Il leur faut quelques heures avant de comprendre qu’ils sont en vie,
que ce corps qui les traîne au milieu des rues est leur corps,
qu’il est entier,
qu’il ne s’est pas rendu à la promise poussière.
Point critique
A quel moment comprend-on les priorités de l’existence ?
A quel instant critique le Bien et le Mal deviennent-ils des valeurs glissant sur une courbe sauvage ?
Combien de secondes
avant notre destruction
entrevoit-on avec justesse la réalité de ce monde ?
Quels événements sont nécessaires à la prise en compte,
par chacun, des impératifs de survie que les jours
succédant aux jours, dissimulent toujours plus ?
Faudra-t-il que la terre craque,
que le ciel s’ouvre,
et que flambent spontanément et au hasard,
les visages que nous pensions familiers,
que s’étranglent dans le souffle d’une explosion
la voix des enfants dont nous rêvions qu’ils nous succéderaient,
et porteraient insouciants, pour nous, à notre place,
les valeurs noires de l’illusion ?
Hollywood nous apporte ces réponses.
C’est dans la furie des derniers temps que repose le réel.
Et nous montrer la furie, nous montrer les dernières heures,
nous rassure dans l’idée qu’il n’est pas encore temps de vivre vraiment,
que le livre aujourd’hui n’est pas ouvert,
et que ces pages calmes, ces visions stables de bâtiments debout, et ces rires profonds qui nous entourent
sont les gardiens de notre aveuglement.
Are we still alive ?
Peut-être ne l’avons-nous jamais été.
Et peut-être aussi que la question d’une petite fille dans l’obscurité est la nôtre,
ultime, et vraie,
une question que nous ne nous posons plus,
mais qui nous permettrait de prendre souvent des décisions qui puisse rompre les images,
mettre à bas les symboles, et rougir pour des raisons moins animales.
Nous tremblons sous nos draps, pendant que fouette le vent et que claquent les volets,
et nous prions,
pour que passe l’orage, se taise la nuit,
et se cache plus encore notre propre invisible fantôme.
Coups de feu dans la nuit
La survie nous pousse au pire,
alors qu’elle devrait nous forcer au meilleur.
Mais les enseignements de l’Histoire demeurent des corbeaux sourds, migrant au dessus de nos têtes d’un néant à un autre,
et que nous nous bornons à suivre, pleins de foi,
qu’ils nous mènent au gouffre ou aux flammes.
Des détonations résonnent et annoncent que nous avons échoué,
échouerons toujours et jamais ne trouveront pour nous la quiétude que nous ne souhaitons pas aux autres.
Ces visions de défaite sont maquillées des couleurs de la victoire,
travesties comme les enfants grimés desquels on exige les gestes de l’adulte, et plus rien n’est utile
ni grand ni beau, dès lors que l’étendard reste planté dans une terre qui porte un nom.
Hollywood nous montre la terre, nous épelle les noms,
et nos pensées frétillent à l’écoute de notes familières.
Nous sommes une foule, et souhaitons le rester,
limiter encore plus l’espace qui nous sépare,
et sentir la chaleur d’autres peaux que la nôtre,
ne pas s’éloigner, ne pas douter,
marcher en cadence dans les pas des autres, eux-mêmes marchant dans les empreintes profondes d’une autre colonne, d’autres réfugiés, dont le simple souvenir nous permet de croire.
Faire ainsi car toujours l’avons fait.
Faire ainsi et serrer dans nos poings les cendres des précédents,
les larmes aux yeux, la peur au ventre,
l’espoir dans nos coeurs que la malchance a tourné.
Méthode relationnelle
Mais la malchance n’a pas tourné,
car nous n’avons pas non plus tourné,
ni changé,
ni pensé à quoi que ce soit qui puisse faire que la fatalité vacille,
empêtrés dans une lâcheté cuisante, des méthodes de fuir toujours nouvelles,
toujours de courir dans des directions arbitraires, et d’élaborer sans répit des méthodes, des stratégies, des plans et des schémas qui nous permettent de voir moins encore où nous pourrions aller, et toujours plus encore l’abjection ruinée d’où nous venons.
Alors prendre les armes, et combattre tous les signes du changement, jusqu’à la mort,
ou bien fuir, et laisser loin dans le futur toute sérénité et toute pensée.
C’est l’exemple que nous donne Hollywood, et nous le suivons,
rangés les uns contre les autres dans une infinie nécropole grouillante,
au creux de laquelle nous cherchons la chaleur
et ne trouvons que la glace brûlante de nos coeurs gelés.
Comptine publicitaire
Nos chants sont ceux des commerçants,
et en perpétuelle mutation,
nous persistons à croire que nos ancêtres les avaient appris de leurs aïeux.
Nous sommes la première génération de conservateurs dont les références glorieuses ne sont inscrites dans aucun livre,
ne sont le fruit d’aucune culture,
et seules de l’offre et de la demande sont les rejetons artificiels.
Pas mon sang
Ce qui terrorise le héros, ça n’est pas de mourir.
C’est de mourir avec les autres, et peut-être ne plus être le héros.
Autour du héros sifflent les balles et tombent les anonymes.
La propriété de la terre du héros, celle pour laquelle il se bat,
se déplace et se réduit dès lors qu’il est en danger.
La terre que le héros défend, c’est alors son corps,
son simple corps de héros complexe.
Le simple sang qui coule dans ce simple corps
et les autres corps simples qui portent eux aussi son sang.
C’est ce que défend le héros, en dernier lieu,
quand la nation est tombée et que la terre brûle,
pour l’entendre crier « pas mon sang »,
« pas mon sang » mais celui d’un autre,
pas ma lignée mais celle de l’inconnu,
celui dont la disparition, dont la vaporisation écarlate ne fera pas de tort aux castes qui auraient pu le sauver.
Mieux vaudra toujours son sang
que le mien.
Chanson du vivant qui entend le rester
C’est un sacrifice demandé par la fiction.
Tuer l’inutile.
Ne garder que les corps viables.
Et oublier qu’on l’a fait.
Augures
Les corbeaux font des cercles au-dessus de nos têtes,
et nous y avons vu un signe,
alors que nous aurions dû y voir une mise en garde,
l’avertissement que nos chairs déjà pourrissaient,
que plus vivant ni tout à fait morts,
déjà nous étions ces cadavres ambulants que flairaient les charognards.
Actifs, mouvants, guerriers, incisifs,
nous nous pensons pleins de vie,
mais l’odeur de nos dépouilles rampantes est déjà parvenue aux cieux,
là où un escadron d’oiseaux attend
que la biologie donne raison au bon sens.
L’ordre règne
Tout est rentré dans l’ordre,
et l’ordre, c’est la permission pour nous de mourir à nouveau d’une cause terrestre,
peut-être demain,
peut-être dans un mois,
mais d’une cause individuelle,
de manière à ce que notre mort soit unique et non globale,
particulière et non collective,
singulière et non plurielle.
Tout est rentré dans l’ordre,
et à nouveau le héros se blottit contre l’attente de sa mort singulière,
sans entendre hurler autour de lui les spectres écoeurés,
les âmes deux fois damnées de ne pouvoir empêcher les vivants
d’à leur tour se damner.
Tout est rentré dans l’ordre, et ces questions posées par l’événement,
auxquelles seules des réponses humides et glissantes furent apportées,
ces questions demeurent blêmes, gisant sur les trottoirs,
poussiéreuses sur des immeubles en attente de démolition.
Ces questions comme les corps d’ennemis vaincus que des fosses communes et anonymes engloutiront pour nous permettre de mieux dormir, et penser que les héros vivent, et que toujours meurent les catastrophes.
Tout est rentré dans l’ordre,
et dans un aveuglement toujours plus sombre,
une foi toujours plus forte,
Holywood nous apprend,
mot à mot,
phrase après phrase,
film après film,
que rien n’a jamais changé,
que rien ne changera jamais,
et que toujours nous mourrons
en vain.
|